S’il fut l’une des têtes pensantes du Parti Ultra sous la Restauration, ce qui lui valut une forme d’ostracisme historique et mémoriel, Joseph de Villèle, Ministre de Louis XVIII et de Charles X fut une personnalité sans doute plus modérée qu’on ne le pense, partisan d’une politique internationale prudente et l’artisan principal d’un des plus notables redressements économique et financier qu’ait connu la France.
Aîné d’une famille du Lauraguais anoblie durant le règne de Louis XIV, Jean-Baptiste Guillaume Marie Anne Séraphin Joseph Comte de Villèle voit le jour à Toulouse le 14 avril 1773. Poussé par son père de servir dans la Marine Royale, il entre à l’Ecole de Marine d’Alès à quinze ans. Sorti l’année suivante, il participe comme jeune officier à la de Saint-Domingue.
En 1790, il est envoyé à l’Île de France (Île Maurice) sous le commandement du Vice-Amiral Armand Philippe de Saint-Félix qui le prend sous sa protection. Il ne connaît donc pas les premiers instants de la Révolution et continue de servir contre les Anglais. Ainsi, il participe à la défense des Mascareignes (Îles Bourbon, Maurice et Rodrigues) et s’empare de plusieurs navires ennemis. Il est promu Aide-Major de Division navale en 1793 mais les nouvelles de la proclamation de la Convention Nationale et de l’exécution de Louis XVI arrivent dans les Mascareignes avec des Représentants en mission chargés d’y chasser les aristocrates. Le Vice-Amiral de Saint-Félix et son jeune lieutenant sont alors suspectés et se réfugient à Saint-Denis, chef-lieu de l’Île Bourbon.
Arrêté à Saint-Benoît conformément à la loi des suspects de 1794, il est libéré à la fin du mois de juillet. Profitant de l’éloignement du Directoire, Joseph de Villèle quitte la carrière des armes, devient planteur et participe aux réunions de l’Assemblée coloniale. Il en profite pour épouser la fille d’un riche planteur Barbe Mélanie Ombeline Panon Desbassyns le 13 avril 1799. De cette union naîtront cinq enfants.
Président de l’Assemblée coloniale en 1800. Face aux volontés indépendantistes de certains planteurs qui ne souhaitent absolument pas remettre en cause l’esclavage pour des raisons économiques, Villèle défend l’attachement à Paris mais refuse l’application du décret du 16 Pluviôse An II (décret de la convention qui abolit l’esclavage dans les Colonies). Villèle entend en fait préserver l’Île Bourbon – devenue La Réunion – d’une possible insurrection des esclaves qui nuirait à sa stabilité et son économie.
En 1807, Joseph de Villèle rentre en France avec sa famille et découvre la France du Premier Empire. Autorisé à rentrer dans son domaine familial du Lauragais, il est élu maire du village de Mourvilles. S’il est hostile à Napoléon, cela ne l’empêche guère de prêter serment à l’Empire. Il sera nommé Conseiller Général de Haute-Garonne en 1811.
Tout en administrant l’ancien fief familial, Joseph de Villèle entre dans la Congrégation des Chevaliers de la Foi, véritable « contre-franc-maçonnerie », fondée par des personnalités comme Ferdinand Berthier de Sauvigny, son frère Anne-Pierre, Louis-Joseph de Noailles, Hippolyte de Solages, Jules de Polignac et son frère Armand, Mathieu de Montmorency-Laval, Eugène-Alexandre de Montmorency-Laval cousin du précédent, Andrien de Rougé, Hippolyte de Barrau et Gaspard de Clermont-Tonnerre. Reprenant les différents degrés de l’ancienne Chevalerie française et hiérarchisés sur une forme pyramidale, les Chevaliers de la Foi s’engagent à lutter contre l’Empire, rétablir l’Ancien Régime et rechristianiser la France. Dès le règne de Napoléon, ils œuvrent clandestinement à Paris, Bordeaux, Toulouse, dans le Sud de l’Auvergne, en Franche-Comté, en Aquitaine et en Vendée. Joseph de Villèle est naturellement très proche des Chevaliers de la Foi et des milieux royalistes de Toulouse et en devient l’un des principaux meneurs.
En 1814, après avoir participé à l’insurrection royaliste de Toulouse, il entre ouvertement en politique et critique la Charte Constitutionnelle de Louis XVIII qu’il juge trop libérale. Après les Cent-Jours, il est nommé Maire de Toulouse par Louis XVIII mais se retrouve débordé par les excès des partisans du Comte d’Artois (frère de Louis XVIII et futur Charles X) surnommés les « Verdets », qui s’en prennent physiquement aux Jacobins.
Au cours de l’année 1815 toujours, Joseph de Villèle est élu de justesse Député de Haute-Garonne mais il en sera constamment réélu jusqu’à la Monarchie de Juillet. Siégeant à la « Chambre Introuvable » sur les bancs du Parti Ultra-Royaliste avec notamment le Comte d’Artois et François-René de Chateaubriand, il mène une dure bataille contre les politiques modérées du Duc de Richelieu et d’Elie Decazes qui a la faveur de Louis XVIII. Président de la Chambre des Députés en 1820, Joseph de Villèle entre dans le Ministère du Duc de Richelieu mais avec un poste sans portefeuille mais très vite en désaccord avec le Premier ministre, il démissionne.
En 1821, les Ultras font chuter le Ministère Richelieu et Louis XVIII doit appeler Villèle comme Premier Ministre. Les Chevaliers de la Foi font alors immédiatement pression sur lui pour qu’il choisisse plusieurs d’entre eux. Mais finement, Villèle choisit l’un des cofondateurs de la Congrégation, Mathieu de Montmorency-Laval au poste de Ministre des Affaires étrangères. En fait, Montmorency-Laval tient fermement les Chevaliers, ce qui laisse à Villèle les mains libres au niveau politique.
En 1824, Louis XVIII succombe à la maladie et Charles Comte d’Artois luis succède sous le nom de Charles X. Bien que fidèle à la Charte de 1814, Charles X est très méfiant vis-à-vis des Libéraux et préfère s’appuyer sur les Ultras à la Chambre et confirme Joseph de Villèle à son poste de Premier Ministre. Point tout à fait intéressant, comme l’explique Benoît Yvert, Villèle vient à expliquer à Charles X que la Bourgeoisie est gagnée aux idées des Libéraux et ne sera plus un vivier pour le Camp Ultra et la Couronne. La solution pour renforcer l’assise politique de la Monarchie réside alors dans l’idée de s’appuyer sur la Paysannerie et d’abord la Paysannerie aisée, elle aussi soucieuse de tranquillité et de propriété. Villèle et Charles X envisagent donc d’étendre le droit de vote à cette catégorie sociale mais le projet ne verra pas le jour en raison des Trois Glorieuses.
La politique de Villèle se résume entre l’assainissement des finances, la prudence à l’étranger et le maintien de l’Autorité royale sur les Chambres.
Les premières mesures de son Ministère sont de promulguer des lois qui punissent le blasphème et de placer l’Enseignement Primaire et Secondaire et les écoles sous le contrôle du Clergé. Les cours de Philosophie dans les Collèges et Lycées sont d’ailleurs confiés à des Abbés. En outre, l’Ecole Normale Supérieure est supprimée et on refonde des Petits Séminaires afin de susciter des vocations religieuses. Malheureusement, la qualité de formation du clergé de la Restauration sera bien moindre que celle des prêtres d’avant 1789. Enfin, par une loi de 1825, le sacrilège de lieux de culte est puni de mort.
En matière de liberté d’expression, Villèle est opposé à la censure mais il ne peut empêcher les Ultras – inspirés là encore par les Chevaliers de la Foi – de faire voter une loi tendant à restreindre les « abus de la presse libérale » par 233 voix contre 134.
L’autre grande légende véhiculée par les anti-Villèle est lié à la Loi de 1825 indemnisant les anciens émigrés qui avaient été spoliés à la Révolution. Les Libéraux crient au scandale devant le « milliard des émigrés »… alors que la somme était de 650 millions de francs.
Ces deux orientations législatives conduisent des Libéraux à former une nouvelle société secrète, la Charbonnerie (inspirée des Carbonari italiens) pour renverser les Gouvernement des Ultras et instaurer un Régime Libéral en France. Ce mouvement est conduit par le Marquis de La Fayette, Jacques-Antoine Manuel et Barthe. Les Charbonniers déclenchent alors plusieurs complots en province mais tous sont réprimés, conduisant la Charbonnerie à disparaître. On a beaucoup retenu l’exécution des quatre sergents de la Rochelle en 1822. Cela vaut à Villèle un sentiment particulièrement hostile dans l’Armée, encore très imprégnée par la figure de Napoléon Ier.
Mais c’est dans le domaine de l’Economie que le Ministère Villèle remporte ses meilleurs résultats. En effet, grâce à une gestion rigoureuse, les finances du Royaume sont assainies et se retrouvent même en excédent. Villèle profite alors des fonds de la Caisse des Dépôts et Consignation, créée en 1818 par Louis-Emmanuel Corvetto, pour financer des projets industriels et notamment la rénovation du port de Dunkerque. Durant ses huit années de mandat, le budget de la France s’est retrouvé en équilibre.
En matière de politique étrangère, Villèle se montre particulièrement prudent et ne veut rien tenter qui pourrait mettre en péril l’équilibre né de la Sainte-Alliance et surtout, de mettre la France à dos avec l’Angleterre. Il soutient l’intervention en Espagne pour soutenir Ferdinand VII contre les Carlistes, avec l’aval des puissances d’Europe. Intervention de laquelle la France sort gagnante. Avec l’accord de l’Angleterre et de la Russie, la France vient en aide aux insurgés grecs contre l’Empire Ottoman en 1827.
Malheureusement, Villèle subit de plus en plus les pressions venues de sa droite comme l’opposition de plus en plus ferme des Libéraux ; notamment en raison d’un projet de loi voulant favoriser le Droit d’Aînesse et la volonté de vouloir mieux contrôler la Presse (loi amandée de 1827). Ajoutons que sa politique, plus modérée que celle que souhaitent les durs du Parti Ultra, lui attire l’hostilité de cette partie de la Chambre. Villèle aurait voulu démissionner à plusieurs reprises mais Charles X a toujours refusé.
En 1828, Villèle tente de reprendre la main sur la Chambre. Il demande à Charles X de faire entrer une nouvelle « fournée » de soixante-treize pairs à la Chambre. Cela conduit donc le Roi à dissoudre la Chambre mais les élections sont nettement défavorables au Premier Ministre qui ne peut compter que sur 180 Députés fidèles sur un peu plus de 430. Les autres se répartissent entre 180 Libéraux et 70 Ultras hostiles à Villèle. Le Libéral Royer-Collard prend alors la tête de la Chambre et Charles X doit appeler le Libéral modéré Jean-Baptiste Comte de Martignac comme Premier ministre.
Villèle se retire donc dans le Lauragais à Mourvilles et se consacre à l’écriture de ses Mémoires. Charles X le consulte encore deux ans avant d’être renversé.
Joseph de Villèle s’éteint à Toulouse le 13 mars 1854.
Lire :
– YVERT Benoît : La Restauration, les idées et les hommes, CNRS, 2013