Petit retour sur cet incontournable personnage de la Guerre de Cent Ans (à ce titre, peut-être plus célèbre encore que Richemont, Clisson ou les frères Bureau de la Rivière) qui reste encore affilié à l’une des légendes les plus noires de l’Epoque Médiévale.
– Gilles de Rais (ou de Retz, de Rays) naît entre 1404 et 1405 au château de Champtocé-sur-Loire. Il est le fils de Guy II de Montmorency-Laval Baron de Retz et de Marie de Craon Dame de Champtocé et d’Ingrandes. Il a aussi un frère baptisé René. Par alliance, la famille de Laval était affiliée à Bertrand du Guesclin. Enfin, l’un des cousins de Gilles de Rais, André de Laval-Montfort Seigneur de Lohéac sera l’un des vainqueurs de la bataille de Castillon en 1453.
– En 1415, Gilles de Rais perd ses deux parents et est recueilli par son grand-père Jehan de Craon, un homme réputé brutal. Entre 1417 et 1422, chaperonné par son grand-père, Gilles de Rais se retrouve dans un violent conflit familial avec sa tante Beatrix de Montjean pour le contrôle des Seigneuries de Tiffauges et de Pouzauges. L’affaire remonte même jusqu’au Dauphin Charles (Charles VII), puisque le Chambellan de France Jacques Meschin de la Roche-Aireault n’est autre que le second époux de Beatrix de Montjean. Jean et Gilles finissent par séquestrer Beatrix de Montjean (ainsi que son beau-frère nommé Gilles Meschin de la Roche-Aireault) à Champtocé pour leur soutirer les propriétés de susmentionnées.
Toutefois, cela n’a pas empêché Jehan de Craon de marier son petit-fils à Catherine de Thouars qui n’est autre que la fille de Beatrix et donc sa cousine. Une pénitence leur fut toutefois imposée en raison de leur consanguinité. Il n’empêche que ce mariage lui apporte une très forte dot, les châteaux de Tiffauges et Pouzauges (aujourd’hui en Vendée), ainsi que plusieurs terres dans le Poitou.
– Gilles de Rais fait son apprentissage de la politique encore aux côtés de son grand-père. Ce dernier est partisan du Duc Jehan V de Bretagne contre la famille de Penthièvre. En 1423, Jehan de Craon négocie avec Yolande d’Aragon, belle-mère du Dauphin Charles, un rapprochement entre la Couronne de France et la Bretagne. Seulement, Jehan V s’évertuera à louvoyer entre Valois et Plantagenêt afin de maintenir son Duché dans une sorte d’indépendance de fait.
– Dès les années 1420, Gilles de Retz rejoint le camp du Dauphin Charles. Mais comme l’explique feu l’Historien Jacques Heers dans sa biographique consacrée au personnage, Gilles de Rais est un homme de son temps, à savoir un noble qui répond à la logique des Clientèles. Ces clientèles sont en fait une sorte de rassemblement de nobles autour d’une figure éminente de l’administration du Royaume en vue d’obtenir des récompenses, comme de s’assurer une protection politique et une ascension. En cela, Gilles de Rais fait partie de la clientèle du Chancelier (puis Chambellan) Georges de la Trémoille, qui a les oreilles du Dauphin.
Cela n’empêche pas le noble de l’Ouest de se distinguer au combat contre les Anglais. En 1427, lors de la campagne en pays du Mans, Gilles de Rais connaît la renommée avec la prise du Château du Lude. Le Dauphin Charles le remarque et le fait Maréchal de France en 1429. Gilles de Rais n’a que vingt-cinq ans. Même si son protecteur n’est guère favorable à la chevauchée de Sainte Jehanne d’Arc, Gilles de Rais rejoint avec enthousiasme les rangs de la Pucelle d’Orléans et combat avec bravoure d’Orléans à Reims. Lors du Sacre de Charles VII en la cathédrale de Reims, il reçoit même l’honneur de porter la Sainte-Ampoule. Après l’échec du siège de Paris, Gilles de Rais combat encore avec vaillance à Melun et à Lagny-sur-Marne.
– Dès 1432, Gilles retourne sur ses terres de Tiffauges avec une fortune absolument considérable. Fortune en partie issue de ses différents héritages. S’il ne se signale plus par les armes (sauf en 1436 lors d’une brève campagne dans le Maine), Gilles de Rais est connu pour vivre somptueusement et offrir des spectacles (Mystères) à très grands frais, comme à Orléans en 1435. C’est là que commence la fameuse légende noire.
– Dès l’année 1432, on signale la disparition d’enfants sur son domaine de Champtocé. Pour reprendre les propos exacts de Georges Minois, Gilles de Rais utilise des enfants pour s’adonner à des sévices pervers « qui feraient passer nos actuels pédophiles pour des enfants de chœur » (1). On le soupçonne aussi de se consacrer à l’Alchimie, à la recherche de la pierre philosophale et à l’adoration du diable. Pour tout cela, il est aidé par deux complices, Francesco Prelati (un jeune prêtre) et Eustache Blanchet.
– Inutile d’en dire davantage sur ce sujet ici, les actes noirs de Gilles de Rais ayant été souvent détaillés sinon fantasmés. Mais ce n’est pas tant pour ces actes qu’il sera arrêté. Ayant d’abord vendu les terres de Saint-Etienne-de-Mer-Morte à Geoffroy Le Ferron Trésorier du Duché de Bretagne, il tente de les reprendre. Mais Geoffroy Le Ferron en a déjà confié l’administration à son frère Jehan qui est prêtre tonsuré.
Gilles de Rais saisit alors Jehan Le Ferron alors que celui-ci célèbre la messe et le fait enfermer. Au regard du Droit canon, ce forfait constitue un acte de sacrilège. Geoffroy Le Ferron en avertit Jehan V de Bretagne qui confie aussitôt une enquête à son principal homme de confiance, Chancelier du Duché de Bretagne, Monseigneur Jehan de Malestroit Evêque de Nantes.
L’enquête aboutit le 29 juillet 1440. Faisant son rapport à Jehan V, Jehan de Malestroit charge Gilles de Rais des accusations de sacrilège, de sodomie, de meurtre, d’adoration du diable, etc. Le Duc de Bretagne doit se montrer prudent car le Maréchal de France a encore des appuis à la Cour de Charles VII, même si son principal protecteur Georges de la Trémoille a été destitué et emprisonné sept ans plus tôt.
– Arrêté le 19 septembre 1440 à Machecoul, Gilles de Rais est jugé dès le 8 octobre. Guillaume Capeillon, Président du Tribunal lui fait d’abord croire que le procès ne concernera que l’affaire de Saint-Etienne-de-Mer-Morte. Gilles tombe dans le piège avant de comprendre que les accusations vont plus loin. Furieux, il veut récuser le tribunal mais Jehan de Malestroit riposte immédiatement en le menaçant d’excommunication. Le très puissant Maréchal de France a les mains liées. Une semaine plus tard, Eustache Blanchet et Francesco Prelatti le lâchent et avouent les crimes contre les enfants et l’alchimie. Le 20 octobre, Gilles de Rais livre son effroyable confession :
« Pour mon ardeur et délectation de luxure charnelle, plusieurs enfants, en grand nombre, duquel nombre je ne suis certain, je pris et fis prendre, lesquels je tuai et fis tuer, avec lesquels le vice et péché de sodomie je commettais sur le ventre desdits enfants, tant avant qu’après leur mort et aussi durant leur mort, émettais damnablement la semence spermatique, auxquels enfants quelquefois moi-même, et autrefois d’autres, notamment par les dessus nommés Gilles de Sillé, le seigneur Roger de Briqueville, Chevalier, Henriet et Poitou, Rossignol, Petit Robin, j’infligeais divers genres et manières de tourments, comme séparation du chef et du corps avec dagues et couteaux, d’autres avec un bâton leur frappant sur la tête violemment, d’autres les suspendant par une perche ou un crochet en ma chambre avec des cordes et les étranglant, et quand ils languissaient, commettais avec eux le vice sodomique en la manière susdite, lesquels enfants morts je baisais, et ceux qui avaient les plus belles têtes et les plus beaux membres, cruellement les regardais et faisais regarder, et me délectais, et que très souvent, quand lesdits enfants mouraient, m’asseyais sur leur ventre et prenais plaisir à les voir ainsi mourir, et de ce riais avec lesdits Corillaud, Henriet, et après faisais brûler et convertir en poussière leurs cadavres par lesdits Corillaud et Henriet. »
Inutile de dire que tout le tribunal est horrifié par ses mots.
– Le 22 octobre, vêtu de haillons, Gilles de Rais fait une confession publique. Et le 26, il monte sur le gibet. Sa légende noire le fait alors passer à la postérité. Son personnage nourrira bon nombre de productions littéraires et artistiques. Charles Perrault s’étant bien sûr inspiré de lui pour créer son célèbre personnage de Barbe Bleue.
(1) : voir MINOIS Georges : Charles VII, Perrin
Lire :
– HEERS Jacques : Gilles de Rais, Perrin
– LEWINO Frédéric & DOS SANTOS Gwendoline : 26 octobre 1440. Pendaison de Gilles de Rais, sodomite, pédophile et tueur en série, in Le Point, 26 sept. 2012