Pierre-Antoine Berryer, avocat de la Légitimité et du Libéralisme
L’Histoire fourmille d’illustres inconnus, de grands noms qui ont marqué leur époque mais que la pensée officielle rejette dans l’oubli. Il est toujours bon de les ramener à la lumière, que ce soit pour rappeler leurs existences ou simplement pour briser les étroites catégories que nous nous plaisons tant à bâtir. La réalité est toujours plus complexe que l’on ne le croit et l’Histoire, si elle peut être détournée, peut toujours être retrouvée.
Pierre-Antoine Berryer fait parti de ces illustres inconnus. Il nait en 1790 dans une famille de juristes. Son père est un avocat célèbre pour son organe et spécialisé dans les affaires commerciales. Malgré la période troublée la famille survit à la Révolution. Son père est un temps accusé de cacher des émigrés dans sa maison, ce qui était vrai, et il ne doit son salut qu’à l’intervention de Delacroix et de Bourdon de l’Oise qui conduisent l’accusateur à se rétracter, sauvant ainsi sa tête.
En, 1797 il entre chez les Oratoriens qui tiennent une maison à Juilly pour y faire ses études. Il côtoie Christian de Chateaubriand, neveu du célèbre écrivain mais également arrière-petit fils de Malesherbes, il avait donc perdu le même jour son arrière-grand père, ses grand parents et ses parents. Berryer fait également sa scolarité avec Jérôme Bonaparte et se souviendra toute sa vie avec émotion de la visite que fit Napoléon au collège.
Il quitte le collège en 1806 pour le lycée. Un temps tenté par la prêtrise il est refusé au séminaire et décide donc de suivre la voie paternelle et de devenir avocat. En parallèle de l’école d’avocats il travaille auprès de M. Bonnemant, ancien député des États Généraux ainsi que chez un avoué. En 1811, il est licencié en droit et s’inscrit au Barreau mais ses débuts sont modestes. Son talent n’éclatera que plus tard, sous la Restauration.
C’est dans les débuts de cette décennie 1810 que progressivement il évolue vers le royalisme et le libéralisme. La Restauration le trouve déjà fermement libéral et sincèrement royaliste. C’est également sous la Restauration que son talent d’avocat se révèle pleinement. Il assiste son père et Dupin l’Ainé dans la défense du maréchal Ney mais ils ne pourront le sauver. Il assure également la défense de Cambronne et parvient à obtenir l’acquittement. -L’Histoire veut que par la suite Cambronne devint, et resta, légitimiste, demeurant un fidèle de Berryer. De plus, il n’hésite jamais à défendre des personnes dont les opinions politiques étaient fort éloignées des siennes. L’exemple le plus fameux est la défense de Louis Napoléon Bonaparte devant la Chambre des Pairs suite à la malheureuse affaire de Boulogne en 1840.
Ainsi sa carrière est lancée. Il plaide dans des affaires de presse comme pour la défense de criminels. Il défend entre autre Castaing qui sera guillotiné pour avoir empoisonné un de ses amis à la morphine. Il plaidera toute sa vie et pour tout ceux qui en avait besoin. Il a une conception très exigeante de son métier, n’hésitant pas à plaider en l’absence de rémunération et faillit finir ruiné pour cette raison. Une affaire illustre particulièrement bien la manière dont Berryer envisage son métier, il s’agit de celle de M. Dehors en 1836. Accusé injustement d’incendie volontaire et condamné aux travaux forcés à perpétuité Berryer accepte de le représenter au dernier moment pour remplacer un confrère malade. Très vite persuadé de l’innocence de son client Berryer fait tout pour le sauver. Dehors passera devant quatre Cours d’assises et trois fois devant la Cour de cassation. Berryer parviendra finalement à démontrer la fausseté des accusations et Dehors sera acquitté. Berryer refusera toute gratification. Dehors vend alors tout ses biens et vient, accompagné de sa fille, apporter la somme à son défenseur. Ce dernier la refuse malgré les supplications de ses visiteurs. Il se décide à prendre l’argent mais c’est pour le donner immédiatement à la jeune fille en lui disant que c’est sa dot et qu’elle ne peut refuser. Cette histoire, avéré quand au fond, montre bien le dévouement de Berryer envers son métier, une réelle alchimie entre son travail et ses devoirs de chrétien.
Sa carrière politique commence en 1830. Il a alors tout juste quarante ans ce qui est l’âge à partir duquel on peut être élu. Connu depuis longtemps comme une figure montante du parti royaliste, proche de Chateaubriand, c’est un fidèle déclaré de la dynastie régnante, il est alors candidat officiel en Haute Loire. Sa première action d’éclat est de s’opposer à ce qui deviendra l’Adresse des 221. Berryer est en particulier remarqué par Royer-Collard[1] pour son discours. Il refuse un portefeuille proposé par le Prince de Polignac et est désolé par la Révolution de 1830. Il se résout à prêter le serment demandé et continue à siéger comme député.
Sa carrière se déroule dans l’opposition et il refuse toute proposition gouvernementale. S’il est prêt à servir son pays, il refuse de servir des régimes qu’il combattait. Il intervient régulièrement dans les débats politiques de son temps. Il acquiert progressivement une belle réputation tant pour ses qualités oratoires qu’humaine, jamais irrespectueux de ses interlocuteurs ou injurieux. Il devient une des figures majeures du parlementarisme du XIXe siècle.
Sous la République de 1848 il appartient à la majorité conservatrice bien qu’il eu voté contre la Constitution. D’une certaine manière il est pour la première fois dans la majorité. Dès cette époque il participe à la tentative de fusion entre Orléanistes et Légitimistes, entreprise qui se révèle un échec. Il est également un des auteurs de la très controversée loi électorale de 1850. Lors du coup d’État de 1851 il participe à la dernière réunion de l’assemblée réunie dans la mairie du X° arrondissement[2] qui prononce la déchéance du Prince-Président. Malgré son action et sa harangue de la foule, la troupe disperse les nombreux députés présents. Constatant la disparition des libertés parlementaires, il refuse de se représenter devant les électeurs de Marseille qu’il représentait depuis 1834.
Il ne revient en politique qu’en 1863 suite au rétablissement des libertés parlementaires sous l’Empire. Entre temps il est élu à l’Académie Française le 12 février 1852 et reçu sous la coupole le 22 février 1855. Il fait en sorte de ne pas rendre la visite protocolaire à l’Empereur, son ancien client.
Il meurt en 1868 échappant ainsi à la douleur de voir son pays vaincu par l’Allemagne bien qu’il pressente la catastrophe. Il s’éteint dans sa terre d’Augerville non sans avoir écrit une dernière fois au Comte de Chambord une dernière lettre qui résume en peu de mot le propos de sa vie.
« O Monseigneur,
O mon Roi, on me dit que je touche à ma dernière heure.
Je meurs avec la douleur de n’avoir pas vu le triomphe de vos droits héréditaires, consacrant le développement des libertés dont la France a besoin. Je porte ces vœux au ciel pour Votre Majesté, pour Sa Majesté la Reine, pour notre chère France.
Pour qu’ils soient moins indignes d’être exaucés par Dieu je quitte la Terre armé de tous les secours de notre sainte Religion.
Adieu, Sire, que Dieu vous protège et sauve la France!
Votre fidèle et dévoué sujet, Berryer. »
[1] « Ne dites pas un talent, répondit le président de la Chambre, dites une puissance ! Mais cela ne doit pas nous détourner de frapper vite et fort. Ne laissons pas à la folie et à l’incapacité de quelques-uns le temps de détruire la discussion dans un pays où il se trouve de tels hommes pour défendre la royauté. » LECANUET, Berryer, sa vie et ses œuvres.
[2] à l’époque ce dernier recouvrait le quartier des Invalides et du Boulevard Saint Germain. La mairie était située rue de Grenelle mais le bâtiment à disparu depuis.