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Chroniques des Dardanelles (1915-2015) – 7

– LE BAPTÊME DE FEU DE L’ANZAC

– Pour le débarquement de la 1st Australian Division (AIF), son commandant Sir William Bridges prévoit de faire accoster la 3rd Brigade du Colonel Ewen Sinclair-MacLagan. Écossais natif d’Edimburgh, Sinclair-MacLagan était l’un des seuls officiers professionnels à commander dans les rangs australiens. Celui-ci est particulièrement inquiet, car ses hommes doivent s’emparer de la ligne couvrant Battleship Hill sur la Crête de Sari Bair et Scrubby Knoll. Sinclair-MacLagan s’interroge : « comment l’état-major de la Brigade pourra-t-il maintenir le contact avec des unités éparpillées sur 3,8 – 4,6 km ? Et même si la résistance ennemie s’avère modérée, mes unités garderont-elles le contact avec les autres ? Le Bataillon de réserve sera-t-il placé en bonne position ? » (1)
La 2nd Brigade du Colonel James M’Cay doit débarquer en seconde vague pour sécuriser la Crête de Sari Bair à droite de la Cote 971. Enfin, la 1st Brigade du Colonel Henry MacLaurin est maintenue en réserve divisionnaire.

Source : http://www.theaustralian.com.au

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– Les 1 500 hommes de la première vague (9th, 10th et 11th Battalions) doivent débarquer à moins de 1 km au nord de Gaba Tepe, entre Brighton Beach au nord et Hell Spit au sud, soit sur 1,5 km environ. Le secteur sera baptisé plus tard Anzac Cove. Le débarquement doit s’effectuer avec un navire à vapeur et six grandes barques. Les officiers britanniques et australiens pensent que le secteur n’est pas infesté de Turcs et que les troupes mises à terre pourront facilement progresser vers Mal Tepe. C’est le 2nd Bataillon du 27e Régiment d’Infanterie turc qui attend les Australiens. Ses positions sont réparties entre Aghyl Dere (juste au-dessus de « la Hutte du Pêcheur ») au nord et Semerely Tepe, bien au sud de Gaba Tepe. Le secteur de débarquement des australiens est alors tenu par une section de la 4e Compagnie du Sous-Lieutenant Muharrem. Deux autres sections couvrent la « Hutte du Pêcheur ». Toutefois, le QG du Lieutenant-Colonel Mehmet Sefik, commandant du 27e, est très bien abrité – car creusé – à Gaba Tepe et couvert par deux canons Nordenfelt, avec plusieurs avant-postes gardant la « Crête de Bolton » (Bolton’s Ridge) et surveillant Brighton Beach. Quant aux deux autres bataillons du 27e (1er et 3e) sont encore à Maidos où ils participent à un exercice nocturne.
Mais la faiblesse de la couverture côtière inquiète aussi plusieurs officiers ottomans qui s’efforcent de prévenir de la possibilité d’un débarquement ennemi dans cette zone. Mais Liman von Sanders décide de ne rien changer à sa disposition défensive.

– Le 25 avril, la force de couverture navale de l’Admiral Ceci Thursby, fait son apparition face à Anzac Cove de nuit, à 02h56. Comme prévu les soldats de la seconde vague de la 3rd Brigade sont transférés sur les destroyers qui doivent les approcher des plages. Mais les marins britanniques et les soldats australiens ne peuvent maintenir le silence ce qui a pour conséquence de mettre les Turcs en alerte. A 03h30, les destroyers de transports stoppent les machines et les grandes barques de débarquement son mises à flots. L’approche se déroule plutôt bien. Les soldats turcs tirent plusieurs coups de feu dans l’obscurité qui tuent ou blessent quelques soldats. Les soldats du 2/27e qui gardent Anzac Cove ne sont pas dotés de mitrailleuses, contrairement à ce que répandront des rumeurs et des rapports faussés. Elles sont pour l’heure maintenues en réserve au sein des 1 et 3/27e près de Maidos. A contrario, les navires de débarquement disposaient de mitrailleuses (2). Ceci-dit, l’idée de maintenir les mitrailleuses en arrière n’a rien d’illogique. Le Lieutenant-Colonel Safik préfère les maintenir en appui au lieu de risquer de les laisser tomber aux mains de l’ennemi durant les premiers combats.

– Mais à mesure que les Australiens approchent de la plage, le feu ennemi se fait plus violent, tout simplement en raison de l’amélioration de la visibilité. Les Turcs font aussi donner les canons Nordenfelts depuis Gapa Tepe. Cependant, le 11th (Western Australia) Battalion réussit à mettre pied à terre au nord d’Ari Burnu et Brighton Beach, avec les compagnies en bon ordre. Mais les soldats découvrent la complexité du terrain, qui profite aux petits groupes de soldats turcs. Au lieu de se jeter dans une inutile combat à la baïonnette ou au corps-à-corps, les défenseurs se terrent dans le terrain irrégulier derrière la première crête. De leur côté, devant gravir les pentes de la crête côtière, les Australiens sont vite fatigués. Certes, ils ont pratiqué des marches intenses en Égypte mais l’instruction ne les a pas préparés à gravir un terrain en forte pente (3).
Alors que les Anzacs poursuivent leur avance, les Turcs continuent de reculer, menant de constantes escarmouches. Toutefois, durant la matinée, des éléments des 9th, 10th et 11th Battalions se retrouvent au sommet du Plateau de Plugge. Mais le Major Edmund Drake-Brockman du 11th Bn doit déployer de grands efforts pour remettre tout le monde en ordre. Les Australiens réussissent néanmoins à installer une section de mitrailleuses sur le plateau. Ensuite, le gros de la 3rd Brigade s’enterre au lieu de pousser en direction de la Troisième Crête par la Vallée de Legge. Cette décision semble injustifiée tant la supériorité numérique australienne est évidente. Mais Sinclair-MacLagan craint que plusieurs de ses unités s’aventurent trop loin dans les terres et se retrouvent isolées et anéanties. Il estime aussi que la Troisième Crête soit l’objectif de trop pour sa brigade. Au moins, pense-t-il, la 2nd Brigade débarquée en seconde vague aura une meilleure liberté d’action pour s’emparer du sommet de Sari Bair entre Çunuk Bair et la Cote 971, pour ensuite consolider le flanc nord avant la poussée vers Mal Tepe.

Colonel Ewen Sinclair-MacLagan, commandant de la 3rd Australia Brigade Source : www.haileybury.com

Colonel Ewen Sinclair-MacLagan, commandant de la 3rd Australia Brigade
Source :
www.haileybury.com

– La 2nd Brigade du Colonel M’Cay touche terre à 05h30 sans encombre dans l’ensemble. Mais un groupe de quatre embarcations du 7th (Victoria) Battalion arrive plus au sud de son objectif initial et se retrouve directement face à la « Hutte du Pêcheur ». Les groupe de soldats turcs du Sous-Lieutenant Ibrahim Hayrettin qui garde le lieu reçoit les soldats Australiens par un feu particulièrement violent. Tirant presque comme à l’exercice, les Turcs laissent une plage jonchée de cadavres avant de se replier.
A 06h00, M’Cay rencontre Sinclair-MacLagan pour discuter des opérations. MacLagan prend alors une initiative qui va sceller le sort des positions australo-néo-zélandaises pendant plusieurs mois. Au lieu de pousser vers le nord, vers la Crête de Sari Bair, le commandant de la 3rd Brigade convainc M’Cay d’attaquer au sud, vers le Plateau 400 afin de protéger le flanc droit de la 1st Australian Division qu’il pense menacé.

– Du côté turc, dès que les premiers rapports parviennent au Lieutenant-Colonel Sefik, celui-ci donne expressément l’ordre aux 1er et 3e Bataillons, à peine revenus de leur marche nocturne, de quitter Maidos pour renforcer le 2nd qui défend les Crêtes dominant Anzac Cove. Safik leur adjoint alors la compagnie de mitrailleuses.
Les mesures prises par les Turcs couplées à l’incapacité de la Royal Navy de fournir un tir d’appui efficace aux Australiens. Le plan de Hamilton et Birdwood prévoyait une dislocation des forces turques. Au lieu de cela, le 27e Régiment conserve sa cohésion. Pour preuve, à 08h00, les 2nd et 3e Bataillons se positionnent sur le sommer de la Troisième Crête derrière le « nœud de Scrubby » (Scrubby Knoll), dominant le Plateau 400 et qui va servir de site de couverture. Parallèlement, les 1er et 3e Bataillons du 27e Régiment développent une attaque dans la Vallée de Legge et vers la Seconde Crête.
Les petits groupes de soldats australiens parvenus sur la Troisième Crête sont violemment repoussés. Hormis les prisonniers, aucun « aussie » ne parviendra sur la même crête durant toute la campagne. Les Turcs contre-attaquent ensuite sur la Crête du Pin (Pine Ridge) au sud du Plateau 400. De leur côté, les Australiens tentent de renforcer continuellement leurs positions sur le Plateau 400 et sur la Seconde Crête, avec l’arrivée du bataillon de réserve de la 2nd Brigade, le 12th (South & Western Australia and Tasmania) Bn. Mais la ligne de front ne va guère évoluer durant la journée. Une-demi compagnie du 11th (Victoria) Battalion, menée avec détermination par le Captain Eric Tulloch tente une poussée vers Çunuk Bair en attaquant Baby 700. Mais la tentative échoue avec de lourdes pertes face à la première ligne du 57e Régiment arrivé à marche forcée.

– S’il n’a pas eu trop de pertes durant cette journée du 25 avril, le 27e Régiment de Safik ne pourra pas tenir la Troisième Crête et Sari Bair tout seul. Cependant, Mustapha Kemal a lui aussi été prévenu d’un débarquement dans le secteur d’Ari Burnu. Suivant le témoignage du Major Zeki Bey (57e Régiment) Kemal reçoit un ordre lui étant adressé et lui demandant d’envoyer un seul bataillon à Ari Burnu depuis Boghali. Mais Kemal estime que les forces débarquées pourraient atteindre Koja Çemen Tepe. Il décide alors d’expédier tout le 57e Régiment du Lieutenant-Colonel Hüseyin Avni Bey, avec une batterie d’artillerie montagne défendre Çunuk Bair. Mustapha Kemal décide aussi de s’installer plus près de la ligne de front avec tout son état-major. En chemin, il rencontre un groupe de soldats se repliant de la côte. Il leur lance alors :
« – Vous ne pouvez pas fuir devant l’ennemi !
– Nous n’avons plus de munitions !
– Si vous n’avez plus de munitions, vous avez toujours vos baïonnettes ! »
Ne trouvant rien à répondre, les fantassins mettent baïonnette au canon et remontent en ligne.
Le 57e Régiment arrive à temps pour engager les Australiens qui tentent de s’emparer de Baby 700. Sur Battleship Hill, plusieurs éléments de 7 bataillons creusent leurs positions sans aucune coordination entre eux. La contre-attaque turque les balaie sans difficulté et le 57e Régiment se retrouve maître de Baby 700. Ce succès leur permet de disposer d’un bon point d’observation sur les Première et Seconde Crêtes.

Le Colonel Mustapha Kemal, avec des officiers turcs et allemands

Le Colonel Mustapha Kemal, avec des officiers turcs et allemands

– Il faut bien retenir plusieurs éléments. Du côté turc, le 27e Régiment a maintenu sa cohésion et s’est payé le luxe de lancer plusieurs contre-attaques, permettant au 57e Régiment de venir renforcer la défense de la côte en aval d’Ari Burnu. Côte australien, l’erreur principale reste l’arrêt de la progression sur la Seconde Crête décidée par Ewen Sinclair-MacLagan (4).
Pour le reste de la journée, le Major.General Bridges fait débarquer la 1st Brigade de MacLaurin maintenue en réserve et l’envoie vers le Plateau 400. A 10h45, la New-Zealand Brigade (Colonel Harold Walker) de la 1st NZ&AD commence à débarquer. L’Auckland Battalion met pied à terre le premier. Seulement, il est décidé d’envoyer l’unité par le goulot du Shrapnel et la Vallée de Monash, plutôt que par la route principale trop exposée. Mais les Néo-Zélandais subissent leurs premières pertes en attaquant le Plateau 400 et le manque de de soutien en artillerie se fait cruellement sentir. Mais le débarquement des canons s’avère difficile à organiser. Le Colonel Joseph Talbot Hobbs, commandant de l’artillerie de la 1st Australian Division débarque avec ses officiers et grimpe sur le Plateau de Plugge afin de trouver une position favorables à l’installation des pièces de Ordnance QF 18-pounders (18 livres, ou 87 mm de calibre). Finalement, la 26th Indian Mountain Battery est mise à terre sans difficulté et s’installe sur le plateau de Plugge. Si les artilleurs indiens se montrent professionnels, leur position est très vite repérée.
Le 27e Régiment turc attaque alors en direction de Pope’s Hill et du Nek mais ses assauts sont repoussés par les mitrailleurs du 16th (South Australia & Western Australia) Battalion.
De leur côté, les Australiens subissent des pertes en voulant s’accrocher dans leurs tranchées sommaires. Mais il est hors de question d’opérer un repli vers la plage car cela exposerait les soldats à un plus grave danger. Les brancardiers et les infirmiers déploient des trésors de courage pour ramener les blessés en arrière avant de les évacuer sur les navires. Le croiseur HMS « Prince of Wales » et le HMS « Dongola » doivent être transformés en navire hôpital.

– A 17h50, le Major.General Bridges décide d’accélérer le débarquement de la 4th Australian Brigade (Colonel John Monash). Mais c’est la confusion qui règne et plus rien ne peut être tenté pour la journée. Durant l’après-midi, le Lieutenant-General William Birdwood débarque pour se rendre compte de la situation. Exagérément optimiste malgré le désordre, il estime que les Turcs doivent être démoralisés. Néanmoins, il doit constater très vite que la New-Zealand Brigade a subi de lourdes pertes et que les tirs de Shrapnels causent des cas de démoralisation soudaine d’une partie des soldats (5).
Mais de leur côté, les Turcs connaissent aussi leurs premières difficultés. En effet, le 27e Régiment est complètement épuisé et Kemal rechigne à engager le 77e maintenu jusque-là en réserve. En fait, cette unité est composée de conscrits arabes que l’on ne pense pas fiables et que l’on soupçonne de vouloir abandonner leurs positions aussitôt envoyés sur la ligne de front .

– Au soir du 25 avril, le front ne bouge plus du côté Australo-néo-zélandais. On compte tout de même plusieurs groupes isolés entre les deux lignes adverses qui attendent de pouvoir se retirer. Certains resteront dans cette situation durant plusieurs jours.

[Suite]

(1) in HART Peter : Gallipoli
(2) HART Peter : Op Cit.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) Ibid.