– Après le nettoyage de la forêt de Bienwald et la prise de Maximilansau, les deux adversaires consolident leurs positions sur les deux rives du Rhin. Le Général Petersen, commandant du LXXXX. Armee-Korps déploie quatre divisions – ou plutôt ce qu’il en reste – dans le Créneau du Rhin face aux Français : 47. Volks-Grenadier-Division (Oberst von Grunherr) dans le secteur de Spire ; 2. Gebirgs-Division (WIlibald Utz) à Philippsbourg ; 16. VGD (Schmidt) sur la ligne Graben – Leopoldshafen et 257. VGD (Erich Seidel) sur Karlsruhe. Néanmoins, en cette entrée du mois d’avril où la Heer s’effondre à l’ouest, l’effort de Petersen relève quasiment de l’exploit.
– En face, la 3e DIA, le CC N°6 et les Goumiers marocains (1er GTM) font face aux trois Volksgrenadier-Regimente de la 257. VGD (457., 466. et 477), tous-trois encore correctement dotés en infanterie (si l’on considère qu’un régiment ne compte que deux bataillons au lieu des trois réglementaires avant 1945). En revanche, la division manque cruellement d’artillerie, problème que ne connaissent guère les Français. Chaque Artillerie-gruppe de l’Artillerie-Regiment 257 ne compte que 1 à 2 batteries au lieu de 3. De son côté, après avoir été quasiment détruite pendant la campagne des Vosges, la 16. VGD vient de connaître sa troisième reconstitution en regroupant les restes des 245., 256 et 905. Infanterie-Divisionen, ainsi que des éléments des Waffen-SS. Mais elle possède encore le luxe de disposer de 5 très bons chasseurs de chars légers Panzerjäger (38 t) SdKfz. 138/2 « Hetzer ». Enfin, la 2. Geb.Div. ne reste pas sur cette partie du front mais devra y laisser un régiment.
– Côté français, le Général de Lattre de Tassigny ne dispose que de 20 km ouverts sur le Rhin, ce qui va l’obliger à ne déployer qu’une partie de ses unités pour franchir le fleuve. Le général français retrouve alors le Général Devers et lui demande l’autorisation d’introduire Spire dans la zone de franchissement français Devers accepte, car plus au nord la VIIth US Army de Patch vient de franchir le Rhin et la Ire Armée Française peut servir de flanc garde sur la droite des Américains. Outre cet impératif stratégique, de Lattre a un autre motif, politique cette fois. En effet, le Général de Gaulle veut que la France prenne sa part dans la conquête de l’Allemagne afin de discuter avec les trois autres grands vainqueurs. Pour lui, cette question de prestige et de politique sera résolue lorsque la Ire Armée aura conquis le sud de l’Allemagne. Le 29 mars, de Lattre reçoit un télégramme signé de Gaulle avec cet ordre : « Mon Général, il faut que vous passiez le Rhin, même si les Américains ne s’y prêtent pas et dussiez-vous passer sur des barques. Il y a là une question du plus haut intérêt national. Karlsruhe et Stuttgart vous attendent, si même ils ne vous désirent pas ». Notons bien que les plans Américains prévoient que les Français restent cantonnés à un rôle de flanc garde et ne s’emparent pas de Stuttgart. Mais de Lattre et de Gaulle voient les choses bien autrement…
– Juste après la réception de l’ordre signé du Chef du Gouvernement provisoire, de Lattre ordonne au Général de Monsabert de faire traverser le Rhin à son IInd Corps dans la nuit du 30 au 31 mars. La première vague d’assaut sera formée des 2nde Division d’Infanterie Marocaine et 3e DIA. La première, commandée par le Général Marcel Carpentier doit traverser le vieux Rhin à Gemersheim, en profitant du couvert des sous-bois. De son côté, la 3e DIA du Général Guillaume a reçu l’ordre du « Roi Jean » de traverser le Rhin « avec les moyens du bord » et de prendre pied dans le secteur de Spire.
Seulement, les bateaux manquent. Monsabert ne disposent que de 55 bateaux M2 d’une capacité de 12 hommes, ainsi que de 15 stormboats – certains étant dotés de moteurs Goïot – pouvant filer à 60 km/h mais n’embarquant que 6 hommes, ainsi que de 12 petits navires pneumatiques.
– Du côté de la 2nde DIM, le 87e Bataillon du Génie a établi de plages de départ, « A » pour le 4e Régiment de Tirailleurs Marocains (Lieutenant-Colonel Clair) et « B » pour le 151e RI (Colonel Gandoët).
Le 31 mars à 04h45, 20 groupes d’artillerie de la Ire Armée, comme des 2nde DIM et 3e DIA ouvrent un feu d’enfer sur le Rhin. Mais le tir de préparation n’est pas concomitant avec la préparation de traversée des fantassins. En effet, les deux régiments d’assaut ne sont pas encore en place. A 06h00, les premières embarcations sont mises à flots mais ne tardent pas à essuyer un violent tir de barrage allemand. Les hommes du 151e RI sont forcés de se retirer sur la berge. Le 4e RTM n’a pas plus de chance puisque sur les 10 premières embarcations engagées, 4 sont perdues et 3 accusent des défaillances de moteurs. Trois bateaux parviennent sur la rive droite et 30 Tirailleurs réussissent à s’y accrocher mais se retrouvent cloués par le tir d’un Blockhaus. Ils ne doivent leur salut qu’au tir d’appui fourni par les Sherman et Wolverine du CC N°6 disposés sur la rive gauche du Rhin.
D’autres embarcations parviennent à acheminer 170 autres soldats qui tiennent une minuscule tête de pont de 200 m sur 80.
– Après une suspension de traversée de 09h30 à 11h30 environ, le Colonel Gandoët tente d’envoyer d’autres embarcations sur l’autre rive. Résultat, 20 soldats supplémentaires parviennent sur la rive allemande pour ne plus y bouger. Il n’y a bientôt plus que 8 hommes valides. Du coup, Carpentier ordonne de renforcer la tête de pont du 4e Tirailleurs Marocains. Les navettes reprennent et le Colonel Clair réussit à faire traverser tout le 3e Bataillon à 12h00. Une contre-attaque lancée par des éléments de la 16. VGD est repoussée et bientôt, tout le régiment se trouve sur la rive droite du fleuve durant la soirée.
– De son côté, la 3e DIA démarre sa traversée. Elle a dû céder des navires à sa voisine sans trouver de quoi les remplacer dans le port fluvial de Spire. Toutefois, grâce au conseil du Colonel Vilette qui connaît Spire pour y avoir été en garnison après la Grande Guerre, les Tirailleurs Algériens traversent le Rhin en amont du pont détruit, évitant ainsi le feu des casemates.
A l’aube, sans préparation d’artillerie, 1 compagnie du 1/3e RTA franchit le fleuve et prend pied sur la rive droite. L’effet de surprise joue et la 47. VGD ne produit aucune réaction. C’est seulement vers 10h00 que plusieurs batteries de canons et d’obusiers quadrillent le secteur de franchissement du 3e RTA depuis Altussheim causant plusieurs pertes. Néanmoins, les soldats français et algériens réussissent à s’installer dans une solide tête de pont de 5 km sur 3,5 km.
De Lattre en profite alors pour exploiter son succès et ordonne au Général Dromard, commandant du Génie de la Ire Armée d’établir une solide point de franchissement. Dromard déploie alors les équipes du Génie et ses pontonniers du 101e RG (Colonel Ythier) qui établissent un pont de 10 tonnes sur le Rhin. Mais seuls les véhicules légers et camions peuvent passer et non les chars. Du coup, afin de faire passer l’obstacle à la 5e DB, de Lattre obtient des Américains la permission d’utiliser le pont de Mannheim. En revanche, les 31 mars – 1er avril, les 3e DIA et 2nde DIM traversent le Rhin en force avec pour objectif Karlsruhe. La 9e Division d’Infanterie Coloniale de Magnan traversera le 2 avril. Enfin, si conformément aux plans du SHAEF, les Américains ordonnent à de Lattre de ne pas avancer à plus de 30 km à l’intérieur de l’Allemagne, le général français ne tient pas compte de ses instructions et compte bien pousser son effort.
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