Chroniques de la Bataille de Normandie – 5/ Tilly-sur-Seulles
Pour comprendre la disposition de la partie occidentale du front britannique, remontons au soir du 6 juin. A ce moment là, les forces du XXXth British Corps ayant débarqué sur Gold tiennent solidement Bayeux (libérée intacte, ce qui va être un privilège) et ont soudé Gold à Juno (Saint-Aubin) et à Omaha (Bayeux/Caumont-l’Eventé).
– De leur côté, la 56th Independant Infantry Brigade « Sphinx » de Pepper et la 8th Armoured Brigade du Brigadier Bernard Cracroft arpentèrent le plateau au-dessus de Gold et s’enfoncent dans l’intérieur des terres pour libérer Creully (où Montgomery vient occuper le château qui lui sert de PC) et Fontaine-Henry, ainsi que s’arc-bouter à la Route N13. Sauf que dans ce dernier secteur, la 8th Arm.Brig doit faire face à une contre-attaque de la part des Sturmgeschützte III du Kampfgruppe Meyer, détaché de la 352. Infanterie-Division de Dietrich Kraiss. Mais les téméraires allemands ne vont pas plus loin et se contentèrent de leur petit succès en s’accrochant sur un bas plateau autour du hameau de Saint-Léger.
Notons que la 8th Armoured Brigade est une formation mécanisée bien pourvue en chars, en canons antichars et en infanterie d’appui (12th Battalion. King’s Royal Rifle Corps). Ses trois Battalions de chars (4/7th Dragoon Guards, 24th Lancers et Nottinghamshire Yeomanry « Sherwood Rangers ») combattent depuis 1941. Mais le bocage normand offrait une configuration bien différente des vastes étendues sableuses du désert de Libye, ce qui provoque « un choc » dans l’esprit des équipages de chars aguerris.
– La consolidation de la tête de pont s’effectuant dans d’assez bonnes conditions, Bucknall décide de faire débarquer la célèbre 7th Armoured Division « Desert’s Rats » de George Erskine. Montgomery et Dempsey attendent beaucoup de cette unité qui s’était taillée une solide réputation face à Rommel en Afrique du Nord. Ils vont vite être déçus. Précisions que beaucoup de soldats des Desert’s Rats éprouvent un sentiment de lassitude et n’ont plus la combativité de leurs débuts. Ils combattent depuis 1940 et songent surtout à survivre à la guerre, d’où une attitude prudente, souvent trop. Ajoutons à cela que l’association de « bleus » enthousiastes se fait très mal avec les vétérans. Psychologiquement et en matière de cohésion, la 7th Arm.Div part donc avec de sérieux désavantages face à des formations cuirassées allemandes combattives. Ajoutons à cela que les Chars Cromwell (qui composent les trois Battalions de chars de la divisions) nouvellement alignés mais technologiquement inférieurs aux Panzer, ne vont pas contribuer à renforcer le moral de la division. A contrario, on observera une meilleure combativité d’unités comme les Armoured Brigades.
Le 7 juin, le 61st Recce Regiment (régiment de reconnaissance) de la 50th Northumbrian Division et la 8th Arm.Brig s’élancent vers Villiers-Bocage, suivis par les fantassins 151st Brigade. Le nombre de chars et d’hommes alignés par les Britanniques force le Kampfgruppe Meyer isolé à quitter Saint-Léger avec ses StuG pour se replier vers le sud.
Le 8 juin, le 6th Bn. Durham Light Infantry (Lt.Col. Hasting) appuyé par les chars des Nottinghamshire Yeomanry – Sherwood Rangers du Lt.Colonel Michael Laycock (frère de Robert Laycock, officier supérieur des Commandos britanniques) avancent vers la Cote 103 au nord de Tilly-s/-Seulles avec difficultés et se heurtent aux Panzergrenadiere mordants de la 130. Panzer-Lehr, bien tapis dans le bocage. Les lacunes sérieuses de l’entraînemen des fantassins et des tankistes en Angleterre, tout comme le manque d’initiative et de coopération interarme éclate au grand jour. Durant trois journées, Tommys et Tankmen n’avancent que mètre après mètre, tout en devant repousser plusieurs contre-attaques allemandes, pour finir par accrocher le sommet de la Cote 103. Mais un obus allemand bien placé tue le Laycock et son aide de camp sur le coup. Le Major Christopherson prend alors la tête des Sherwood Rangers.
– A l’aube du 9 juin, en dépit des attaques constantes des avions d’attaque alliés auxquelles il fut soumis durant sa marche, un Kampfgruppe de la Panzer-Lehr prend position entre Juaye et Mondaye, à une portée de tir de Bayeux et se tient prêt à se lancer sur la vieille cité. Toutefois, d’autres éléments de la division sont engagés par les Northumbrians de Graham et les Battalions de la 8th Brigade de Cracroft entre Tilly-sur-Seulles et Fontenay-le-Pesnel. Celle-ci réussit à chasser le SS-PzAufKlarAbt 12 d’Audrieu, tout en s’emparant du Point 103 et du village de Saint-Pierre. Bayerlein doit alors abandonner l’idée de reprendre Bayeux et redéploye ses unités pour reprendre Saint-Pierre et le Point 103. Mais le chef de la Panzer-Lehr dut alors faire face à une autre menace ; la 56th Inf.Brig. de Pepper et la 22nd Armoured Brigade de Hinde (avec les 1st et 5th Royal Tank Regiments, le 4th County of London Yeomanry, ainsi que les fantassins portés du 1st Bn. The Rifle Brigade) partent de Bayeux et s’avancent vers Tilly-sur-Seulles et Villers-Bocage, après avoir été précédées par un intense bombardement aérien des positions allemandes entre Bayeux et Tilly-sur-Seulles. Malheureusement, les vétérans font la connaissance avec le terrain cloisonné du bocage normand, propice aux tirs d’embuscades. Ainsi, les Cromwell d’Erskine sont pris plusieurs fois sous les tirs des canons de Panther et de PzKw IV dissimulés derrière les haies, de même que des attaques montés par des petits groupes de Panzerknacker (« casseurs de chars ») armés de lance-roquettes Panzerfaust et RpBZ 43 Panzerschreck. Au vu de la lente progression de ses chars, Hinde décide de confier au 1st Bn. The Rigle Brigade la mission de nettoyer les haies, les chemins creux, les fermes et les villages pour permettre aux trois Battalions de chars de progresser en triste réalité. Hinde demande à Erskine l’appui d’autres unités d’infanterie mais les anciens d’el-Alamein, de Tunisie et d’Italie de la 131st Queen’s Brigade d’Ekins (1/5th, 1/6th et 1/7th Queen’s Own Rifles) ne peuvent encore être déployés. Toutefois, le Brigadier Pepper répond à l’appel des Desert’s Rats et vient se placer sous le commandement d’Erskine. Sauf que le retard pris par Erskine permet encore aux Allemands de renforcer leur dispositif défensif.
– Maintenant renforcée et scindé en plusieurs groupes de combat, la 7th Arm.Div. reprend sa marche vers Tilly-sur-Seulles le 11 juin. Le 2nd Bn. Gloucester (56th Inf.Brig.) et les Cromwell du 4th County of London Yeomanry progressent sur l’axe principal vers Bucéels. Le 2nd Bn. Essex et le 5th RTR effectuent un crochet par l’est de Bernières-Bocage dans l’intention de couper la route Tilly-Lingèvres. Enfin, le 2nd Bn. South Wales Borderers reste en réserve avec le 1st RTR au carrefour de Jérusalem. Les groupes de combat des Desert’s Rats et des Sphinx placés en fer de lance doivent nettoyer leur route contre des détachements de la Panzer-Lehr mais la résistance allemande se durcit nettement dès que les Britanniques abordent le nord de la ligne Tilly-sur-Seulles – Lingèvres, tenue par le Panzergrenadier-Regiment 901 de l’Oberst Scholze. Avec leur objectif en vue, les hommes des 2nd Gloucester et 2nd Essex rassemblent alors leurs forces, pendant que Cotton demande de l’appui des chars, des avions d’attaque Typhoon et de l’artillerie divisionnaire.
L’attaque de la 56th Brigade et de la 22nd Arm.Brig démarre sur le coup de 17h30 après un violent tir de barrage sur la ville de Tilly. Mais les Tommys se retrouvent immédiatement aux prises avec des groupes de Panzergrenadiere appuyés par des Panther qui surgissent sur la route Tilly-Bayeux. Plusieurs Cromwell se font « allumés » par les canons longs des fauves allemands. L’un d’entre eux est détruit par le PIAT du Lt. J.B. Evans (qui est tué dans l’action). Au prix de violents engagements, la 56th Brigade réussit à repousser le PzGren-Regt. 901 et à accrocher les abords de Tilly-sur-Seulles. Seulement, les hommes de Bayerlein font donner leurs bouches à feu qui sont restées jusque-là silencieuses et habilement dissimulées derrière des haies. Canons portés de 150 mm du 9/PzGren-Regt. 901, les compagnies de mortiers des PzGren et les lance-roquettes Nebelwerger de 280 mm se déchaînent contre les Britanniques qui sont forcés de reculer.
– De son côté, la 151st Brigade de Senior (6th, 8th et 9th Bns. Durham Light Infantry) de la 50th Northumbrian, appuyée par les 24th Lancers et Nottinghamshire Yeomanry progresse par le nord-est de Tilly-sur-Seulles mais les Britanniques se font percuter par une contre-attaque du Panzer-Lehr-Regiment 130 de l’Oberst Gerhardt. D’abord violemment secoués, les Tommys et les équipages de chars britanniques se ressaisissent et parviennent à tenir tant bien que mal leur secteur conquis avec l’intervention des pièces d’artillerie de marine. Cependant, lorsqu’ils s’approchent de Tilly, le 8th Bn. DLI et le 24th Lancers se retrouvent aux prises avec des éléments mordants du PzGren-Regt.901. Le jour même le 6th DLI réussit à pénétrer dans les faubourgs nord de Tilly mais il ne reçoit aucun soutien blindé de la part de la 22nd Arm.Brig et se fait repousser sans ménagement.
– Le 11 juin, la 56th Brigade tente un nouvel assaut à l’aide du 4th CLY qui essaie de déborder les défenses allemandes par l’ouest de Tilly. Forçant le passage, le 2nd Gloucester, monté sur Bren Carriers, réussit à prendre l’un des carrefours au nord de Tilly…pour se faire immédiatement contre-attaqué par des Jagdpanzer IV du Panzerjäger-Abteilung 130 et des hommes du Panzer-Pionier-Bataillon. Les Gloucester paniquent et se replient au nord derrière Pont-Esprit sur le coup de 22h00. Le 2nd Essex tente, quant à lui, de s’emparer du Bois de Verrières mais se fait impitoyablement taillé en pièces par des Panzer, des Pioniere et des blindés légers armés de lance-flammes. Le malheureux bataillon ne peut même pas déployer sa batterie de canons antichars de 6 pdr (6 livres) mais plus grave, le 5th RTR qui doit l’appuyer ne vient pas. 200 soldats du Battalion sont perdus.
Tilly est toujours solidement tenue par les hommes de Bayerlein mais eux aussi ont souffert. Ainsi, la 7/PzGren-Regt. 901 de l’Oberleutnant Mahr ne compte plus que 43 hommes valides sur une dotation théorique de 150.
– Le 12 juin, la 131st Queen’s Brigade d’Ekins, enfin arrivée et le 1st RTR tentent de prendre Tilly mais la tentative se révèle encore infructueuse. Erskine et Graham conviennent alors de porter leur effort princiapl plus à l’est avec la 151st Brigade, appuyée par le 4/7th Dragoon Guards. Notons aussi que, pendant ce temps, la 49th « West Riding » Division de Rawlins combat pour s’emparer du Hectot à partir du 8 juin mais elle ne parvient pas à remporter cet objectif malgré la combativité dont elle fait preuve. Pour l’anecdote, elle reçoit à cette occasion le surnom d’ « Ours Egorgeurs », en référence à son insigne sur lequel figure un ours polaire (l’unité ayant stationné un temps en Islande).
– L’assaut sur Tilly-sur-Seulles redémarre le 16 juin, alors que Bayerlein rassemble ses chars afin de lancer une contre-attaque à la charnière des 49th et 50th Divisions dans l’idée de séparer les deux unités britanniques. Mais l’audacieux chef allemand n’en a pas le temps car Graham et Erskine réussissent à le prendre de vitesse en relançant leur attaque. Avec l’appui de chars spéciaux Churchill AVRE (armés d’un lance-roquette pouvant cracher un projectile de 380 mm capable de détruire tout abri ennemi et de faire s’écrouler un bâtiment), la 151st Brigade de la 50th Northumbrian repart à l’assaut. Les 6th, 8th et 9th DLI doivent combattre farouchement pendant plusieurs heures avec l’aide des 24th Lancers et 4/7th Dragoon Guards contre les jeunes grenadiers du 901. De son côté, les survivants du 2nd Essex réussissent à entrer dans Tilly par le nord à l’issu d’un furieux engagement. Il fait ainsi sa jonction avec le 6th DLI et le 24th Lancers qui avaient percé vers l’ouest de la ville.
Le 19 juin, les ruines de Tilly-sur-Seulles sont enfin dégagées.
* Précisions pour le lecteur,
1 – Une Brigade britannique correspond en termes d’effectifs à un Regiment allemand (3 200 hommes contre 2 600 – 2 900), tandis qu’un Bataillon (unité tactique traditionnelle) trouve son équivalent dans l’Abteilung (d’infanterie) allemand.
2 – Une Armoured Brigade britannique correspond au Panzer-Regiment (180 chars contre 140 Panzer selon la dotation type 1944. L’Armoured Division britannique est une unité lourde (240 chars en comptant l’unité de reconnaissance équipés de Cromwell) avec 18 000 hommes contre 12 000 – 14 000 pour ses rivales allemandes.
[Suite]