Abbé Iborra : « Le monde est en feu ! »

by adminfhesp

Voici l’ homélie prononcée par le vicaire de la paroisse saint Eugène, à Paris, à l’occasion de la messe de rentrée du blog « le Rouge & Noir », le 4 octobre 2014, en la fête de S. François d’Assise . Au feu meurtrier des idéologies dominantes, l’abbé Iborra oppose le « feu » de l’Esprit Saint que les chrétiens ont le devoir de propager dans un monde en proie à l’autodestruction… 

            « Le monde est en feu ! » : c’était l’exclamation de S. Thérèse de Jésus, à l’aube des temps modernes, au moment où la chrétienté éclatait sous le coup des hérésies protestantes. « Le monde est en feu ! » : c’était aussi l’exclamation de sa lointaine disciple S. Thérèse Bénédicte de la Croix au moment de renouveler ses vœux, à la veille de ce nouveau suicide de l’Europe que fut la 2e Guerre mondiale, cette fois sous le coup des idéologies totalitaires athées. « Le monde est en feu ! ». La réformatrice du Carmel s’en explique : « On voudrait pour ainsi dire condamner de nouveau Jésus-Christ puisqu’on l’accable de tant de calomnies ! On voudrait en finir avec son Eglise ! » (Chemin de la Perfection, ch. 1). Nous aussi nous aurions envie de crier comme les carmélites d’autrefois : « le monde est en feu ». En feu sous la double action du libéralisme libertaire et de l’impérialisme islamiste. Par-delà nos valeurs, ce qui est menacé, c’est la survie même du socle ethnique de nos peuples européens et de la communauté culturelle qu’ils forment, civilisation spirituelle façonnée par une histoire bimillénaire.

            A la veille de la manifestation organisée en faveur de la famille, nous ne pouvons que déplorer l’impéritie, voire la trahison du politique quand il s’agit de défendre et de promouvoir les assises naturelles de l’ordre social. Laissons un instant la parole aux évêques espagnols après la reculade du Parti Populaire face à l’emblématique question de l’avortement. Voici, par exemple, ce qu’écrit l’évêque de Alcala, ulcéré par la déloyauté du gouvernement : « Le moment est venu de dire, avec une voix posée mais claire, que le Parti Populaire est libéral, idéologiquement nourri par le féminisme radical et l’idéologie du genre, infecté comme le reste des partis politiques et syndicats majoritaires, par le lobby LGBT; tous servants d’institutions internationales (publiques et privées) favorables à la promotion du gouvernement global, au service de l’impérialisme transnational néocapitaliste, qui exerce sa pression pour que l’Espagne ne serve pas d’exemple à l’Amérique du Sud et à l’Europe dans ce qu’ils considèrent être un retour en arrière inadmissible pour l’avortement, cette synthèse diabolique de l’individualisme libéral et marxiste ». Et il conclut : « Les partis politiques majoritaires sont devenus de véritables structures de péché au sens où l’entendait S. Jean Paul II dans Sollicitudo Rei Socialis, 36-40, et Evangelium Vitae, 24 ».

            Ces paroles sont dures mais réalistes, et elles nous concernent aussi en France. En France où l’on cherche vainement un chef politique au mouvement né du sursaut civique de la Manif pour tous de l’an dernier. En effet, comme le dit cet autre évêque espagnol, celui de San Sebastian, « La décision prise par le chef du gouvernement rouvre le débat qui existe déjà depuis longtemps au sein de l’Eglise catholique : quel type de présence doivent avoir les catholiques dans la vie politique ? Est-il cohérent que les catholiques intègrent des partis politiques dont les programmes contiennent des propositions diamétralement opposées aux valeurs évangéliques ? Peuvent-ils voter pour de tels partis en se fondant sur le principe du moindre mal ? Le temps a montré qu’en prenant le chemin du moindre mal on finit par arriver au plus grand mal. L’option du moindre mal ne peut être que circonstancielle et transitoire, sans que l’on succombe à la tentation d’en faire sa devise. Car Jésus-Christ nous a enseigné à choisir le plus grand bien, et non le moindre mal ». Et après avoir relevé que « l’éventail parlementaire actuel ne comprend aucun parti d’envergure capable de représenter le vote catholique », il conclut par cette réflexion : « La charge des évêques est d’apporter l’éclairage moral, et non de créer une alternative politique. Voici aujourd’hui l’une des tâches spécifiques les plus importantes des laïcs. La vocation des laïcs catholiques, à la différence des prêtres et des évêques, est de se rendre présents dans la vie politique en proposant d’autres choix, capables d’incarner de manière cohérente dans la vie publique les principes qui inspirent la doctrine sociale catholique ».

            Chers amis, telle est aussi votre mission : au feu de l’enfer déchaîné sur cette terre par le prince de ce monde et ses laquais, répondre par le feu de la charité allumé en nos cœurs par le Saint-Esprit. Et nous en venons tout naturellement – si je puis dire – à celui que nous fêtons aujourd’hui, S. François. Transportons-nous un instant dans la basilique supérieure d’Assise. Giotto y peignit cette fresque où l’on voit une frêle silhouette vêtue de gris supporter de son épaule un grand édifice prêt à crouler. C’est la représentation du songe que fit en 1210 le pape Innocent III, lui-même attelé à réformer une Eglise discréditée par la simonie et le nicolaïsme, au sein d’une société ravagée par les maux du pouvoir, de l’argent et du plaisir. Innocent III sut discerner en François et ses disciples ceux qui allaient réformer l’Église et la société, non en s’acharnant sur leurs institutions, toujours imparfaites, mais en visant l’essentiel, la racine de tous les maux, cette triple concupiscence dénoncée par S. Jean et qui se caractérise par l’hédonisme, individualiste, subjectiviste et relativiste. Dénonciation radicale de l’esclavage de l’argent, du sexe et du pouvoir par un contre-exemple tout aussi radical, celui de la pauvreté, de la chasteté et de l’obéissance. Dans une société qui commençait à céder à l’hédonisme, François répond par les vœux, vécus de manière évangélique, c’est-à-dire par l’oubli de soi au point de se confondre tout entier avec le Christ pauvre, chaste et obéissant.

            C’est ce même engagement qu’il nous invite à faire nôtre aujourd’hui, quel que soit notre état, laïc ou clerc : mener une vie chrétienne authentique. Je vous disais l’an dernier, à la suite du cardinal Pacelli : « Priez, veillez, aimez ». C’est-à-dire : « A l’empire du bruit, préférez chaque jour le silence de la lecture, de la méditation, de l’oraison. A l’abondance des biens de toute sorte que l’on vous somme de consommer, préférez chaque jour l’austérité du pain de Vie qui vous est offert quotidiennement à la messe. Aux séductions des sens et à l’orgueil de la vie, préférez chaque jour l’humilité de Marie dans la récitation du rosaire. En un mot, aux multiples paroles dont ce monde vous accable, préférez chaque jour la Parole unique de Dieu qui les surplombe toutes, ce Verbe unique qu’il nous donne pour nourrir nos intelligences et qui incarné, eucharistié, nourrit aussi nos cœurs et nos âmes ». L’évangile de ce jour parle « des choses cachées aux sages et aux savants mais révélées aux tout-petits ». C’est que dans l’Église ces tout-petits – François d’Assise, Thérèse de l’Enfant-Jésus – sont dotés d’une sagesse éminente. D’une sagesse telle qu’ils peuvent descendre dans l’arène des concepts pour lutter avec leur intelligence contre les idéologies qui menacent le troupeau, à l’instar de ces Domini canes qui s’en prennent aux loups de l’hérésie sur une fresque, à Florence cette fois.

            Oui, « le monde est en feu. » Il a besoin de chrétiens dont la foi – sous le double aspect de l’engagement et de l’intelligence – ne soit pas diluée dans le relativisme éthique et doctrinal. Mais ranimer la flamme de la foi et de la charité au souffle de l’Esprit, c’est s’exposer, dans ce monde pavé des charbons ardents de  l’Ennemi, aux tribulations les plus amères. Comme François qui porta dans sa chair les stigmates de la passion du Christ. Une croix qui, paradoxalement, se révélera un joug ténu et un fardeau léger, comme nous le laisse entendre l’introït de cette messe : « Frères, pour moi, puissé-je me glorifier en rien si ce n’est dans la croix de notre Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde a été crucifié pour moi et moi pour le monde ». Enflammés comme S. François d’Assise, puissiez-vous, chers amis, vous identifier si bien au Crucifié que vous contribuiez par votre foi, par votre espérance et par votre charité, à éteindre ces flammes de l’enfer qui aujourd’hui calcinent insidieusement notre civilisation chrétienne.