3 – LA TROUÉE DE BELFORT
1 – Préparatifs
– La percée dans le secteur de Belfort et en direction de la Haute-Alsace, est confiée au Ier Corps d’Armée du Général Antoine Béthouart, lui-même Franc-Comtois. Issu de la même promotion que de Gaulle et Juin à Saint-Cyr, jeune officier plusieurs fois décoré et cité durant la Grande-Guerre, Béthouart reprend-là son second commandement d’importance en opération, quatre ans après avoir dirigé le Corps Expéditionnaire à Narvik, unique victoire française de 1940. Ensuite, il a exercé diverses fonctions dans l’Armée d’Armistice tout en menant des activités de Résistance. C’est ensuite lui qui a dû négocier à Washington le rééquipement de l’Armée d’Afrique.
– La prise du secteur de Belfort est importante pour les Français, car elle permettrait de remettre la main sur le bassin industriel de Sochaux-Montbéliard, que Béthouart doit préserver, ce qui implique une action rapide. Outre la 9e Division d’Infanterie Coloniale de Joseph Magnan – dont les Tirailleurs Sénégalais commencent à souffrir du froid, ce qui explique le processus de « blanchiment » de la Division – et la 2e Division d’Infanterie de Montagne de Marcel Carpentier, de Lattre octroie à de Lattre toute la 5e Division Blindée de Vernejoul, 1Combat Command de la 1re Division Blindée, le 7e Régiment de Chasseurs d’Afrique équipé de chasseurs de chars M10 Wolverine, le 1er Régiment de Spahis Algériens de Reconnaissance, 1 Regimental Combat Team de la 4e Division Marocaine de Montagne, le 1er Groupement de Tabors Marocains (Colonel Georges Leblanc), le Groupement de Choc Gambiez, le 9e Régiment de Zouaves, 11 groupes d’artillerie, 1 groupe d’obusiers Howitzer M1 de 240 mm et 1 groupe de M2 8-inch (203 mm) américains venus d’Italie. En outre, de Lattre obtient que les troupes qui doivent partir pour la réduction des poches de l’Atlantique soient retenues.
De Lattre et Béthouart montent alors une opération d’intoxication à l’encontre de l’ennemi, pour lui faire croire que l’attaque principale doit avoir lieu dans le secteur de Remiremont, beacoup mieux tenu. Des équipes de la 5e DB installent alors des pancartes, avec de faux fléchages d’itinéraires, tandis que d’autres déversent de faux messages radio écoutés par l’ennemi. On va même jusqu’à installer des PC fictifs aux vu des observateurs allemands. Mais pendant ces préparatifs, la météo s’affole.
– L’attaque principale sur Belfort est attribuée à la 2nde Division Marocaine de Montagne de Carpentier qui doit prendre la ville ou ses arrières par un double mouvement-tournant. Les Marocains sont alors renforcés par les Combat Commands 4 (S) et 5 (O) commandés respectivement par Guy Schlesser et le Colonel Desazars de Montgaillard, d’unités du génie et d’artillerie, ainsi que par les Groupements FFFI de Bourgogne, Vigan-Braquet et du Lomont. Sur sa droite (est), la 9e DIC de Magnan doit attaquer en parallèle de la frontière suisse, avec l’aide du 6e Régiment de Tirailleurs Marocains (Colonel Baillif) déjà fortement secoué dans le secteur du Col de Busang, du 9e Régiment de Zouaves (Lieutenant-Colonel Aumeran), de la Demi-Brigade d’Auvergne (Colonel Fayat dit « Mortier »), du Combat Command 2 de la 1re DB (Colonel Kieffe), du Régiment Colonial de Chasseurs de Chars (Colonel Rousseau), d’un Chemical Mortar Battalion américain (tirant des obus au phosphore blanc), de 3 Groupes d’obusiers de 105 mm. En outre, d’autres unités doivent effectuer la jonction avec le IInd Corps de Monsabert plus à l’ouest ; le 1er Régiment de Spahis Algériens de Reconnaissance (Colonel Hennoque), le 19e Bataillon de Chasseurs à Pied (Lieutenant-Colonel Moillard) et de Bataillons de FFI. Béthouart conserve en réserve tactique le 1er GTM du Colonel Leblanc, le Combat Command 6 ou « T » (Colonel Tritschler). Et Jean de Lattre de Tassigny, maintient en réserve d’armée le 2nd GTM (Colonel Emile Hogard), le 4e RTT, le 7e Chasseurs d’Afrique et les 2 Combat Commands restant de la 1re DB du Général Jean Touzet du Vigier, prête à marcher vers le nord. Enfin, pour assurer la logistique de toutes ces unités, les compagnies lourdes de Matériel et Réparation sont disposées en échelon sur la route Baume-Besançon-Dole. Quant à l’appui aérien, il est assuré par les P-38 Lightning, P-47 Thunderbolt, P-51 Mustang et Spitfire du 1er Corps Aérien Français.
– L’acheminement des troupes pose très vite des problèmes en raison du temps particulièrement exécrable. Il pleur sans cesse, ce qui provoque une crue du Doubs qui emporte plusieurs ponts. Mais le 13 novembre, le thermomètre descend en-dessous de 0°C et la pluie se transforme en neige qui tombe durant plusieurs jours. Les Tirailleurs de Magnan commencent à souffrir du froid et d’engelures. Les troupes françaises découvrent alors un paysage nordique devant eux. A de Lattre auquel il rend visite ce jour-là, Winston Churchill lui demande : « vous n’allez tout de même pas faire attaquer par un temps pareil ? » De Lattre préfère alors reporter son attaque d’une journée.
– En face, les Allemands pensent que les Français n’attaqueront pas par un temps pareil. Leur ligne de front sud-est est tenue par la 338. Infanterie-Division du Generalmajor Hans Oschmann – unité recrée après la défaite de Montélimar – qui couvre un front de 30 km de long.
2 – L’attaque (14 – 15 août)
– Le 14 novembre, la neige baisse en intensité pour laisser place à un ciel gris. Mais c’est assez pour Béthouart afin de guider son artillerie par les airs. A 11h20, les groupes d’artillerie de soutien, les groupes lourds et l’artillerie divisionnaire des 9e DIC et 2e DIM déclenchent un feu d’enfer sur les lignes de la 338. ID qui ne s’achève qu’à 12h20. Les troupes d’Oschmann sont complètement assommées. Carpentier déclenche alors son attaque avec le 8e Régiment de Tirailleurs Marocains, qui a avancé dès 12h00 sous la couverture de l’artillerie afin de mieux approcher les linges adverses. Le Generalmajor Oschmann qui se trouve alors aux avant-postes reçoit une rafale d’arme automatique et ne se relève pas. Il est remplacé en urgence par le Generalmajor Rudolf von Oppen. Dans le sillage du 8e RTM, le reste de la 2e DIM se jette sur les lignes allemandes sur une ligne de 10 km, avec les 4e et 5e RTM, le 3e Spahis du Maroc, les FFI de Bourgogne, de Corrèze-Limousin et le Bataillon Vignan-Braquet.
– Sur la droite, la 9e DIC déclenche aussi son attaque sur le coup de 14h00, mais dans une épais brouillard qui stagne en face de ses lignes. Joseph Magnan lance alors un groupement formé par le 6e Régiment d’Infanterie Coloniale du Colonel Raoul Salan, les Auvergnats du Colonel Fayat, un escadron de Chasseurs de Chars, un Groupement d’Artillerie, et 1 compagnie du Génie. Les Marsouins de Salan enlèvent alors le village d’Ecot au prix d’un dur combat qui se prolonge durant la nuit, avec une contre-attaque allemande qui échoue grâce à deux groupes du Régiment d’Artillerie Coloniale du Maroc. Mais le 6e RIC réussit à s’emparer de Villars-/s-Ecot et de Vermondans, avant de nettoyer les Grand Bois avec l’aide d’éléments de la 1re Division Blindée. En fin de journée, la route qui va de Pont-de-Roide à Clerval est dégagée.
– Quand tombe la nuit, les troupes de Béthouart ont enfoncé le front allemand sur une ligne de 15 km de long pour 5 de profondeur. Pourtant, Friedrich Wiese qui commande la 19. Armee allemande ne veut pas croire qu’il s’agit de l’offensive principale française et s’attend toujours à repousser Monsabert dans les Vosges occidentales. Il consent toutefois à expédier deux Bataillone de réserve à la 338. ID pour faire face à la 2nde DIM.
– Le 15 novembre, Béthouard ordonne à ses troupes d’exploiter la percée de la veille. Sous la neige, le centre et l’aile droite de Magnan déclenchent leur attaque. Le 9e Régiment de Zouaves du Lt.Col. Aumeran attaque le village d’Ecurcey à 10h00. Son 1er Bataillon perd 108 hommes pour sa capture. Sur sa gauche, le 2nd Bataillon du 21e Régiment d’Infanterie Coloniale réussit à prendre Bourguignon, pendant que tout à droite le 6e RTM de Baillif tente de réduire la résistance des troupes allemandes acculées à la frontière suisse. Le nettoyage doit se faire à l’arme légère ou à la mitrailleuse car faire donner l’artillerie s’avère risqué en raison de la proximité de la Suisse.
– Au nord du Doubs, la 2nde DIM de Carpentier et le CC 4 de Schlesser s’emparent de Gémonval, Arcey, Echenans et Desandans. Mais le CC 5 du Colonel Desazars de Montgaillard (1er Chasseurs d’Afrique, 2e Escadron du 1er Etranger de Cavalerie, 1er Bataillon de Marche de la Légion et I/62e RAA) peine à nettoyer le Bois du Chanois. L’unité y perd son chef qui est remplacé par Bonet d’Oléon. Cependant, le 5e RTM du Lieutenant-Colonel Jean Piatte repousse un bataillon de cycliste accourus d’urgence depuis les Vosges.
De Lattre est satisfait, les lignes allemandes craquent sous la pression de Béthouart.
3 – L’Exploitation de la percée et la prise de Montbéliard
– Durant la matinée du 16 novembre, Béthouart lâche les éléments de la 5e Division blindée de Henri de Vernejoul. Le CC 4 de Schlesser (1er Cuir., 3/1er REC, 2nd BLE, 2/62e RAA, BHR/RAA et 2/96e BG) s’élance le long de la route Besançon – Héricourt – Belfort. Cuirassiers et Légionnaires bousculent tout ce qu’ils ont devant eux et débloquent les Marocains de la 2nde DIM qui fait un bond de cinq kilomètres. Il est rejoint par le CC 5 de Bonet d’Oléon qui attaque Sainte-Marie, dont chaque bâtiment est transformé en bastion. Le combat dure jusqu’à 16h00, heure à laquelle les derniers allemands ont déguerpi ou se sont rendus. Le CC 5 bondit alors vers Montbéliard pour faire sa jonction avec le 5e Tirailleurs Marocain qui vient de dégager les bois. Pendant ce temps, l’artillerie du corps pilonne le fort du Mont Bart.
– Dans la boucle du Doubs, le Combat Command 3 de la 1re DB (2nd Chasseurs d’Afrique, 3e Bataillon de Zouaves portés et II/68e RAA) commente à nettoyer la Boucle du Doubs entre Montbéliard et le massif jurassien avec l’aide des Sénégalais 6e Régiment d’Infanterie Coloniale de Salan. De son côté, le 2nd Bataillon du 9e Zouaves atteint Roches-lès-Blamon, pendant que le 2nd Bataillon du 23e Colonial nettoie les derniers Blockhäuse le long de la frontière suisse, permettant ainsi au 6e Tirailleurs Marocain de se dégager.
– Le déblocage complet de la situation permet à la 2nde Division Marocaine d’avancer sur la Lisaine en direction de Héricourt et de Montbéliard. Béthouart ordonne alors à Carpentier de pousser ses troupes vers la RN 83 qui mène à Belfort.
Friedrich Wiese commence alors à prendre conscience de la situation qui s’aggrave sur son flanc gauche et envoie ses réserves, soit 2 bataillons de la 189. Infanterie-Division, 2 Maschinegewehr-Bataillonen(mitrailleurs) et 4 Pioniere-Bataillon (Génie) pour tenir Héricourt, clé de l’accès sur Belfort. Wiese rassemble même 1 bataillon de sourds-muets (Ohren-Bataillon) qui est envoyé au combat sans aucune forme de procès. Selon les témoignages d’officiers français, ces soldats « se battaient plutôt bien, vu qu’ils n’entendaient rien ». Ces différents éléments expédiés d’urgence se révèlent une noix plus difficile à casser pour les Français et les Coloniaux que les Grenadier de la 338. ID. Il faut ainsi toute la journée du 17 novembre au CC 4 de Schlesser et au 8e Tirailleurs Marocain (Colonel de Berdechoux), soutenus par le 2 pelotons du 1er Cuirassiers pour investir et nettoyer Tavey sur la route de Héricourt et pour s’emparer d’un pont sur la Lisaine. Cette action permet au 2/RMLE du Commandant de Chambost investit Héricourt qu’il nettoie après un très dur combat. Les Allemands craquent et s’enfuient vers Belfort. La chute de Héricourt entraine alors celles de Saint-Valbert, Bussurel, Béthoncourt, Luze, Faymont et Lomont. Pendant ce temps, le 5e Tirailleurs Marocain s’empare du Fort du Mont Bart. Immédiatement, le Colonel Piatte lâche ses soldats sur la cité ouvrière de Sainte-Suzanne qui tombe facilement. La tentation est trop belle, Montbéliard est à une portée de fusil. Piatte n’hésite pas et y envoie ses bataillon de Tirailleurs après 17h00 avec l’appui de 2 Escadrons du 2nd Chasseurs d’Afrique. Les FFI locaux du groupe « Les Pingouins » réussissent à empêcher les Allemands de faire sauter les ponts. En début de soirée, les derniers Allemands encore présents dans Montbéliard se rendent.
– Tout à droite, la 9e DIC achève de nettoyer les dernières positions allemandes le long de la frontière helvétique et sur le Doubs. Carpentier lance ensuite ses hommes à l’assaut de Bondeval et les « chacals » du 9e Zouaves à Hérimoncourt. Malheureusement, le Régiment d’Infanterie Coloniale du Maroc (RICM) du Colonel Le Puloch et le Combat Command 2 de la 1re DB peinent à suivre mais finissent par accompagner le 9e Zouaves dans la prise de Vaudoncourt, Seloncourt et Dasle. A la fin de la journée, toute l’agglomération de Montbéliard est libérée, dont les secteurs des usines Peugeot, quasiment intacts. C’est un succès mais les Sénégalais de Magnan continuent de souffrir du froid mordant.
4 – La libération de Belfort
– Béthouart ordonne aux CC 4 et 5 de Vernejoul, au 8e Tirailleurs Marocains, au 1er Groupement de Tabors de Leblanc de marcher sur Belfort pendant que le Combat Command 6 de la 5e DB du Colonel Tritschler (6e Chasseurs d’Afrique, 4/1er REC, 3e BMLE, 3/62e RAA et 3/96e BG) maintenu jusque-là en réserve, est chargé de déborder les positions allemandes par le nord avec le Groupement Chappuis qui comprend le 4e RTT, les Commandos d’Afrique de Bouvet et les Chocs de Gambiez. Pour la manœuvre par le nord, Chappuis sera chargé de dégager le passage afin de permettre à Tritscher de s’engouffrer vers Belfort. Or, le Colonel Chappuis a l’avantage de bien connaître la région qui fut son premier secteur d’affectation.
– L’attaque démarre le 18 novembre dans un temps presque sibérien. Si le CC de Schlesser reste un temps bloqué devant le Fort de Vauquois et le Bois de Salamon, le 8e RTM de Berdechoux dégage le secteur forestier. Mais le fort tiendra jusqu’au 21 novembre contre les assauts français. De son côté, le CC 5 de Bonet d’Oléon marche sur Sochaux libéré le jour-même, passe le village de Brognard et atteint Allenjoie le lendemain… pour buter sur le Fort du Bois d’Oye qui ne tombe que deux jours plus tard.
Toutefois, malgré les difficultés et le climat rude, Tirailleurs et Commandos du Groupement Chappuis réussissent à nettoyer les Bois de Saulnot après de très durs combats et force la Lisaine, ce qui permet au CC 6 d’intervenir. Au soir du 19 novembre, le Groupement Chappuis est à Chalonvillars, banlieue de Belfort. Le Colonel ordonne alors aux Commandos d’Afrique de harceler le Fort Salbert. Les hommes du Lieutenant-Colonel Bouvet s’avancent alors en silence jusqu’à l’édifice, en escaladent les pentes et neutralisent les sentinelles.
Toute la garnison tombe. Bouvet lance alors l’une de ses compagnies qui pénètre dans Belfort avant de se retirer après le réveil allemand. Mais le 20 novembre à 15h00, les Chasseurs d’Afrique et Légionnaires du Colonel Tritscher entrent dans Belfort, aidés par les FFI. Le jour-même, tout le nord-ouest de la cité est libéré. Les combats sporadiques se poursuivent durant la nuit. Les Commandos d’Afrique capturent plusieurs stocks de vivres, avant de dégager le secteur de la Kommandantur le 21 à 09h20, suivi de celui de la Préfecture. Par conséquent, les derniers Allemands qui ne se sont pas rendus se réfugient dans le château. Ils vont y résister avec acharnement jusqu’au 25, face aux assauts du 4e Tirailleurs Marocains et du 3e Régiment de Spahis du Maroc.
– La campagne des Vosges entre alors dans sa dernière phase pour la Ire Armée Française ; la libération de la Haute-Alsace.
[Suite]
* Acronymes et abréviations
– RIC : Régiment d’Infanterie Coloniale
– RICM : Régiment d’Infanterie Coloniale du Maroc
– RAA : Régiment d’Artillerie d’Afrique
– RMLE : Régiment de Marche de la Légion Étrangère
– REC : Régiment Etranger de Cavalerie
– RTM : Régiment de Tirailleurs Marocains
– BLE : Bataillon de la Légion Étrangère