– Rappel : le 23 novembre, Français et Américains du XVth Corps ont libéré Haguenau et Strasbourg grâce à une habile manœuvre dans les Basses-Vosges et dans la trouée de Saverne. Avec la percée quasi-simultanée de la Ire Armée Française du Général de Lattre de Tassigny à Belfort, la campagne d’Alsace est maintenant enclenchée afin de dégager la rive gauche du Rhin en France.
1 – CONTRE-ATTAQUE DE LA PANZER-LEHR (BAERENDORF, WEYER, RAUWILLER)
– Pendant la soirée du 21 novembre, la 361. VGD, culbutée par le XIIth Corps (voir Campagne des Vosges, onzième partie) essaie de se rétablir sur une ligne s’étendant du sud de Mittersheim à Drulingen. Mais elle est prise de vitesse par l’aile gauche du XVth Corps – le 106th Cavalry Group – qui atteint le nord de la ligne Baerendorf – Weyer – Drulingen. Le jour suivant, la 4th Armored Division nettoie Mittersheim, pendant que le 106th Cavalry Group, renforcé des 71st et 114th Infantry Regiments accomplit un bond jusqu’à Eywiller et plusieurs autres villes du nord de l’Alsace. Finalement, le 23 novembre, le 71st Infantry du Colonel Porter fait sa jonction avec la 4th Armored Division à Fenetrange, désorganisant complètement l’articulation de la 361. VGD et privant la Panzer-Lehr d’un écran de protection sur son flanc ouest (droit).
– Cependant, Hermann Balck et Gerd von Rundstedt assurent à Fritz Bayerlein que sa Panzer-Lehr sera bien lancée en contre-offensive le 23 novembre même dans le secteur de Sarralbe MAIS SANS l’appui du Panzergrenadier-Regiment 25 de l’Oberstleutnant Hans Engelien. Fritz Bayerlein n’est pas n’importe qui et est connu des Alliés. Ancien fidèle chef d’état-major de Rommel en Afrique, il s’y est distingué pour ses compétences. Durant l’été 1944, il a mené la Panzer-Lehr en Normandie mais sa division a été écrasée lors de l’Opération Cobra. Bayerlein commande alors à une unité entièrement reconstituée de jeunes recrues qui, pour la plupart, n’ont pas encore connu le feu.
– Cependant, la division ne peut se déployer rapidement et ne démarre son assaut qu’à 16h00. Ayant anticipé le mouvement allemand, les officiers américains ne sont guère surpris de voir des chars allemands manœuvrer au nord de Sarralbe. La Panzer-Lehr avance alors en deux colonnes. La colonne ouest (Baerendorf) compte 10-12 PzKw Mark IV pendant que la colonne est (Eywiler) compte 20-25 Panther. Au début, l’attaque commence bien puisque les blindés légers du 106th Cavalry, trop peu armés, sont facilement chassés de Baerendorf et de Weyer. Le colonne ouest atteint bientôt Rauwiller, capturant 200 prisonniers de la 44th Infantry Division. Les Cavaliers américains sont repoussés sur Schalbach, ce qui contraint le 114th Infantry du Colonel Martin à se replier afin de ne pas être isolé. Apprenant ce succès tactique, von Rundstedt s’empresse de communiquer à l’OKW que la Panzer-Lehr a une change – légère – de réussir sa contre-attaque.
– Mais von Rundstedt sous-estime la réaction américaine ainsi que la situation de la Panzer-Lehr qui s’avère de plus en plus précaire, puisque elle avance sans aucun soutien. Pendant que les équipages de Panzer et les Panzergrenadier de Bayerlein combattent, Manton S. Eddy, patron du XIIth Corps obtient de son collègue Wade H. Haislip le commandement temporaire des unités du XVth Corps situées à l’est de la Sarre afin de mieux coordonner leurs efforts. C’est ainsi qu’Eddy monte une contre-attaque avec le Combat Command B de la 4th Armored Division (Holmes E. Dager) et une partie de la 44th Infantry Division.
– Le CC B franchit alors la Sarre en deux secteurs près de Baerendorf le matin du 24 novembre et se rue presque immédiatement dans le flanc droit de la Panzer-Lehr. La Colonne sud du CC nettoie alors la ville durant l’après-midi après un furieux combat mettant aux prises Sherman et Mark IV, ainsi que fantassins portés et Panzergrenadier. Pendant ce temps, la Colonne nord contient les Allemands arrivant en renfort, ce qui permet au Colonel Porter de relancer son 71st Infantry à l’assaut de Rauwiller qui est repris en tout début de soirée. De son côté, le 106th Cavalry Group réussit à accrocher Schalbach et à stabiliser la ligne américaine à Drulingen.
– Au vu de cette situation, von Rundstedt decide de réduire la mission de la Panzer-Lehr à la simple fermeture de la brèche existante entre les 1. et 19. Armeen du Groupes d’Armées de Balck. Pour cela, elle doit bloquer le RN 4 entre Sarrebourg et Saverne. Mais ce projet s’avèrent encore ambitieux puisque la 19. Armee n’a aucun moyen de soutenir la Panzer-Lehr. Von Rundstedt ordonne alors à Balck d’expédier la 25. Panzergrenadier-Division de Paul Schürmann dans la bataille. Mais celle-ci est en sous-effectif et n’a pas les moyens d’atteindre Sarre-Union avant le 25 novembre.Une fois n’est pas coutume, Hermann Balck devient particulièrement pessimiste le 24 novembre. Il espérait pouvoir compter sur le concours de la 256. Volksgrenadier-Division de Gerhard Franz mais cette unité a déjà reçu l’ordre de défendre Haguenau. Finalement Balck, apprend que la 245. Volks-Grenadier-Division a quitté la Hollande pour la Sarre mais ne sera sur place que le 3 décembre.
– Le 25 novembre, la colonne de droite de la Panzer-Lehr s’en prend à la Colonne sud du CC B à Barendorf et réussit à reprendre Rauwiller. S’ensuit une série de combats confus pendant plusieurs heures mais finalement, les Allemands sont forcés de se replier. Toutefois, l’aile gauche de Bayerlein, formée par le bataillon de Panther du Panzer-Lehr-Regiment 130 a connu plus de succès en débordant le 2/114th Infantry près de Schalbach. Mais l’artillerie américaine veillait au grain et a arrêté l’opération par un tir de barrage. Schalbach est l’ultime point atteint par la Panzer-Lehr, puisque Bayerlein reçoit l’ordre de se retirer vers la Sarre et Eywiler. Hitler lui-même était réticent à l’engager dans une opération hasardeuse. Enfin, la division quitte très vite le front alsaco-lorrain pour l’Eiffel, puisqu’elle participera à la Bataille des Ardennes.
2 – L’AVANCE DU VIth CORPS DANS LES VOSGES ET VERS LA PLAINE D’ALSACE
1 – Situation et plans
– Nous avons laissé les divisions du Major.General Edward H. Brooks sur la Meurthe au début du mois de novembre. Seulement, le VIth Corps n’a sécurisé que Raon-l’Etape, Bacccarat et Saint-Michel-s/-Meurthe ; Saint-Dié et Saint-Léonard sont encore entre les mains des Allemands. Brooks veut nettoyer au plus vite les deux rives de la Meurthe avant de lancer son attaque principale vers la plaine d’Alsace. Les forces de Brooks sont disposées comme suit : au nord (aile droite), la 100th « Century » Division de Withers A. Buress tient une ligne partant du massif forestier de Raon-l’Etape à Etival-Clairefontaine. Le centre (Etival-Clairefontaine – Saint-Michel-s/-Meurthe) est tenu par le 15th Infantry Regiment (celui d’Audie Murphy, soldat américain le plus titré de la Seconde Guerre mondiale) appartenant à la 3rd « Rock of the Marne » Division du Major.General John W. « Iron Mike » O’Daniel. Le reste de la 3rd Division est alors maintenu en réserve. Au sud du 15th Infantry, la 103rd « Cactus » Division de Charles C. Haffner Jr. (moins 1 Regimental Combat Team maintenu en réserve), est positionnée depuis Saint-Michel-s/-Meurthe jusqu’à Saucy-s/-Meurthe. L’aile gauche de la 103rd Infantry Division tient le Bois Magdeleine qui domine Saint-Dié et la Vallée du Taintrux. Enfin, la 36th « Lone Star » Division de John E. Dahlquist tient une ligne dans le massif forestier des Hautes-Vosges allant de Saulcy-s/-Meurthe jusqu’au Tholy, maintenant ainsi la jointure avec la 3e Division d’Infanterie Algérienne du IInd Corps d’Armée Français.
– Le 10 novembre, après avoir évalué plusieurs options offensives, Edward H. Brooks établit son plan d’attaque. « Iron Mike » O’Daniel doit franchir la Meurthe à Saint-Michel le 20 novembre avec 2 Régiments et y établir une tête de pont. Ensuite, la « Rock of the Marne » nettoiera le massif forestier au nord-est de Saint-Dié afin d’atteindre la trouée de Saales qui débouche sur la Plaine d’Alsace à Mutzig et sur la N 420. Rappelons qu’à ce moment précis, l’objectif du VIth US Corps assigné par Devers et Patch reste Strasbourg. Au vu du manque d’expérience des 100th et 103rd Infantry Divisions, Brooks espère que ses deux unités joueront un rôle de « retenue » et de diversion contre la 19. Armee afin de laisser les « Dogface soldiers » aguerris d’O’Daniel effectuer rapidement leur avance. Toutefois, Brooks n’en oublie pas pour autant le secteur de la 100th Infantry Division. Celle-ci a pour mission de sécuriser définitivement le secteur de Raon-l’Etape. Si elle ne réussit pas, cela créerait une brèche entre les XVth et VIth Corps que le 117th Cavalry Squadron aurait bien du mal à combler. En contrepartie, une avance soutenue de la division de Burress contribuerait à la réussite de l’avance du XVth Corps sur Sarrebourg et Saverne.
Du coup, Brooks ordonne à Burress de commande son avance cinq jours avant O’Daniel, afin de fixer un nombre conséquent de forces allemandes qui ne pourront être déployés contre la 3rd Infantry Division. La « Century » Division doit d’abord traverser la Meurthe et nettoyer le plateau de Raon-l’Etape avant d’accrocher la N-424 et poursuivre vers l’est. Ensuite, elle doit progresser sur des routes secondaires vosgiennes pour franchir le Col de Hantz et rejoindre la N-420 à Saint-Blaise-la-Roche, environ 13 km à l’est de Raon-l’Etape et à environ 3,5 km au nord de la trouée de Saales. Mais étant donné les difficultés que put éprouver l’expérimentée 45th « Thunderbird » Division dans les semaines précédentes dans le même secteur, on peut se demander alors si l’objectif assignée aux « bleus » de la 100th Division n’est pas un peu trop ambitieux.
Enfin, sur le flanc droit du VIth Corps, les Texans de la 36th Infantry Division (moins les Nisei 100/442nd RCT de Miller partis au repos) doivent maintenir fermée la charnière avec la Ire Armée française tout en jouant un rôle de diversion et de retenue des forces allemandes à l’est de Remiremont.
– En face, alors qu’il doit affronter l’offensive des Français dans les Hautes-Vosges et en Haute-Saône, Friedrich Wiese doit aussi tenir le front des Vosges centrales face aux Américains. Il ne dispose alors que du LXIV. Armee-Korps d’Hellmuth Thumm qui tient une ligne forestière allant du Canal Rhin-Marne jusqu’à Saulcy-s/-Meurthe avec les 16., 553. et 716. VGD, ainsi que du IV. Luftwaffe-Feld-Korps (avec la 708. VGD d’Ernst Arndt) qui protège son flanc gauche/sud/sud-est. Mais les trois divisions allemandes n’ont pas les effectifs suffisant pour tenir une telle ligne de front. Ainsi, la 708. Infanterie-Division d’Edgar Arndt qui fait face à la 100th Infantry Division ne peut disposer de la totalité de ses effectifs pour tenir sa ligne de front entre Raon-l’Etape et Etival-Clairefontaine. La faible 716. VGD d’Ernst von Bauer, renforcée seulement par le Grenadier-Regiment 757 (338. GD) en sous-effectifs doit tenir la rive droite de la Meurthe entre Etival-Clairefontaine et Saint-Dié, face à la moitié de la 103rd Infantry Division et toute la 3rd Infantry Division. Enfin, le IV. Luftwaffe-Feld-Korps ne peut aligner qu’un peu plus de 5 000 combattants, d’autant plus que les 2 500 hommes de la 198. ID doivent tenir face aux Français, pendant que les 3 700 de la 708. VGD doivent faire face aux américains. Seul avantage pour les Allemands, le terrain difficile qui se prête particulièrement bien à la défense, avec tranchées, abris, Blockhäuse, nids mortiers et de mitrailleuses, mines et booby traps. Mais la qualité des défenses ne peut faire oublier le manque d’effectifs chronique pour les occuper et les tenir. A la mi-novembre, les défenseurs allemands reçoivent néanmoins le renfort d’unités d’artillerie et les stocks de munitions adéquats.
2 – L’attaque de la 100th Infantry Division
– La « Century Division » attaque en premier. Mais les jeunes soldats sans expérience sont particulièrement nerveux et anxieux, bien que les « anciens » des 3rd et 36th Divisions. Withers A. Buress, patron de la Division, décide d’exécuter un assaut frontal contre Raon-l’Etape sur la Meurthe en utilisant le secteur Baccarat comme base de départ. 2 Régiments doivent donc traverser la Meurthe à Baccarat pour conquérir les collines boisées au-dessus de la ville. Ensuite, un troisième régiment doit effectuer une diversion avec l’aide de l’artillerie et de mitrailleuses. Si cette manœuvre réussit, la division sera en mesure de couper les lignes de ravitaillement allemand.
– Le 12 novembre, les 397th et 399th Infantry Regiments franchissent la Meurthe à Baccarat et attaque en direction du sud-est, vers Raon-l’Etape. Sur la droite, le 397th Infantry du Colonel William A. Ellis longe la rive est de la Meuse vers le petit village de Betrichamps et la Cote 443, un plateau abrupt juste à la limite de Raon-l’Etape. Sur la gauche, le 399th Infantry Regiment du Colonel Andrew C. Tychsen atteint l’est de Neufmaisons avant d’obliquer plus au sud vers la Cote 539 qui domine la rivière appelée la Plaine, juste à la sortie nord de Raon. Ensuite, les éléments des deux unités atteignent leurs objectifs intermédiaires ; Bertrichamps et Neufmaisons. Seulement, les GI’s découvrent très vite que la 708. ID allemande a mis a profit la pause du VIth Corps pour former une extension de leur ligne de défense sur la Meurthe en utilisant la D-8/9 comme une route de ravitaillement. En outre, les défenseurs ont garni le secteurs de fils barbelés, d’abris de tranchés, de bunkers et d’abris de mitrailleuses.
– Durant l’après-midi du 12 novembre et durant la journée du 13, les deux régiments américains tâtent les lignes allemandes à la recherche des points faibles mais sont très vite surpris par l’étendue de la ligne de défense. Le 14 novembre, la 100th Infantry commence son attaque contre la « Winter line » avec l’appui de l’artillerie divisionnaire et de canons et obusiers du Corps d’armée. Le 15 novembre, les bataillons d’assaut entament les lignes allemandes et attaquent dans la Forêt de Raon. Les conditions de progression sont particulièrement difficiles : pluie, neige, sentiers boueux et forêts danses. Le 16, après une journée de marche et de combat, les GI’s parviennent au pied des Cotes 443 et 539. Le 1/399th submerge une petite force allemande qui défend la base de la Cote 539 et une compagnie monte immédiatement à l’assaut du sommet, appelé la « Tête des Reclos ». Mais la réplique allemande ne tarde pas, puisque la 708. ID lance plusieurs contre-attaques, chacune butant sur la défense des GI’s. Ceux-ci ne comptent plus que 60 hommes le 17 novembre mais leurs assaillants sont tout aussi épuisés. Le jour-même, les GI’s dévalent la « Tête des Reclos », forçant les Allemands à évacuer le sud-est de la base. Le matin du 18 novembre, Burress reçoit un rapport annonçant que les Allemands ont évacué Raon-l’Etape, n’y laissant que des mines et des « Booby traps ». Brooks décide alors d’exploiter cet avantage et modifie son plan initial. Sans doute pour éviter aux 3rd et 103rd Infantry Divisions un franchissement coûteux de la Moselle, Edward H. Brooks et son état-major décide de faire passer les régiments de ses deux divisions DANS la tête de pont constituée plus rapidement que prévu par les soldats de la « Century ». Par conséquent, Withers A. Burress reçoit l’ordre de sécuriser les collines forestières à l’est de Raon, en atteignant la Plaine et en progressant le long de la RN 424. Brooks a l’impression que la 708. ID s’est effondrée et que l’introduction de la 14th Armored Division – unité de réserve de la VIIth Army prévue pour être rattachée au VIth Corps – en second échelon pour débouché sur Mutzig n’en sera que plus facilitée. Mais plus tard, il apprend par l’état-major de Patch qu’il n’obtiendra qu’un seul Combat Command de la 14th Armored Division. Brooks franchir aussi rapidement la Meurthe au sud de Saint-Dié pour exploiter sa percée rapidement avec des unités mécanisées mobiles. Toutefois, l’exécution dépend du progrès de la 100th Infantry Division. Sauf que la mauvaise surprise ne tarde pas à arriver. En voulant atteindre la N 59 et la Plaine, les Américains tombent sur des renforts allemands provenant de la 716. ID. Le 398th Infantry Regiment du Colonel Nelson I. Fooks, maintenu jusque-là en réserve, franchit la Meuse et traverse le périmètre du 399th pour avancer vers La Trouche, un petit hameau bordant la N 392, à 1,5 km à l’est de Raon. Même si elle a détourné l’attention des Allemands du secteur de Saint-Dié, la 100th Infantry Division perd son rythme de marche. Néanmoins, au soir du 18, Edward H. Brooks transmet un ordre écrit qui prend effet immédiatement et la 3rd Division d’O’Daniel se déploie immédiatement dans le secteur de Raon-l’Etape. Brooks espère que l’attaque de la Century sécurisera assez de terrain pour permettre l’exécution de la seconde phase de son plan le 20 novembre. Mais pendant la nuit du 18-19 novembre, Brooks apprend que la 3rd « Rock of the Marne » lance des patrouilles d’infiltration derrière la Meurthe et que le 15th Infantry Regiment du Lt.Col. Hallett D. Edson est déjà placé en alerte au cas où les patrouilles trouvent un bon endroit de franchissement. Brooks approuve immédiatement l’initiative d’O’Daniel et l’informe qu’il peut commencer son attaque avec tout le soutien du VIth Corps si le régiment peut s’établir solidement sur l’autre rive durant la nuit. Le 15th Infantry tente bien de lancer plusieurs patrouilles sur la rive droite de la Meuse mias aucune ne trouve un bon endroit, non pas en raison de la résistance des Allemands, loin de là mais en raison du gonflement du niveau de la Meurthe. La seule patrouille ayant réussi à traverser à Saint-Michel-s/-Meurthe ne peut être renforcée et doit se retirer. C’en est définitivement fini pour l’espoir de Brooks et d’O’Daniel de franchir la Meurthe par surprise. Le 19 novembre, Brooks connaît une autre déception ; les mortiers et les canons allemands donnent de la voix durant toute la journée du 19 et la 100th Division se révèle encore incapable de sécuriser le plateau boisé au sud de la Plaine. Le même jour, Brooks décide d’abandonner définitivement l’application de son plan révisé et de s’en tenir à la version rédigée le 10. Le seul changement reste l’ajout du Combat Command A de la 14th Division (Colonel Charles H. Karlstad) dans l’ordre de bataille du Corps.
3 – L’assaut sur la Meurthe
– Pour « Iron Mike » O’Daniel, le second changement de plan par Brooks cause plusieurs problèmes. Si le redéploiement des 7th et 30th Infantry ne pose pas de sérieux problème, O’Daniel craint que le bruit des chars et des chasseurs de chars de soutien n’alerte les Allemands. Par conséquent, il maintient la majorité de ses blindés de soutien soigneusement en arrière, ne laissant que quelques-uns sur la rive gauche. Toutefois, ses précautions s’avèrent payantes. Pendant la soirée du 19 novembre, le 10th Engineer Combat Battalion fait passer plusieurs sections de la « Rock of the Marne » sur la rive droite de la Meuse, en deux secteurs au nord de Saint-Michel. Protégés par l’obscurité, les soldats du génie établissent deux ponts légers, avant d’installer un pont de bateaux qui est disposé le 20. Peu avant Minuit, les fantassins d’O’Daniel commencent à traverser la Meurthe et à 06h00 du matin, 5 Bataillons sont disposés de l’autre côté de la Meurthe, attendant le signal de l’assaut. A 06h15 les obusiers du VIth Corps et de la 3rd Divisions démarrent un tir d’artillerie de 30 minutes sur les positions allemandes qui ont pu être préalablement repérées. A 06h45, l’artillerie allonge son tir plus à l’est, permettant à l’Infanterie d’avancer. Sur la gauche, le 30th Infantry du Colonel Lionel G. McGarr sécurise la section de la N 59 et remonte au nord vers Clairefontaine et Raon-l’Etape. A Clairefontaine, le Régiment est brièvement arrêté par un retranchement allemand, indiquant que l’ennemi contrôle encore la jonction des N 59 et N 424, entre le 30th Infantry et le 397th Infantry. Mais littéralement compressés par les deux régiments américains, les défenseurs allemands ne tiennent pas bien longtemps. Pendant ce temps au sud, des éléments du 7th Infantry Regiment du Colonel Ben Harrell avance de quelques kilomètres vers le sud-ouest, sécurisant les abords de Saint-Michel-s/-Meurthe, occupés par quelques allemands. Mais les pertes du régiment sont sensibles en raison de nombreuses mines autour du petit hameau.
– Le 21 novembre, les deux divisions font des progrès sensibles. Les 7th et 30th Infantry Regiments avancent de plus de 3 km au nord-est, tandis que le 397th Infantry sécurise définitivement Clairefontaine et pousse encore sur plus de 3 km le long de la N 424. La résistance allemande est sporadique, ne se limitant qu’à quelques tirs d’artillerie et de mortiers. Malheureusement, les problèmes de ravitaillement ne tardent pas à arriver en raison du gonflement de la Meurthe, ainsi qu’un flux de véhicules mal adapté sur la rive ouest.
– Tard dans la journée du 20 novembre, Edward H. Brooks décide d’envoyer deux régiments de la 103rd Infantry Division derrière la Meurthe, dans les pas de la 3rd « Rock of the Marne ». Les hommes du Major.General Haffner franchissent la Meurthe durant la nuit du 20-21 novembre sans difficulté jusqu’à ce que l’un des ponts se trouve emporté par le courant sur le coup de 08h00. Mais à ce moment, les deux régiments ont presque toutes leurs troupes sur la rive droite mais aucun véhicule ou équipement plus lourd.
Pour renforcer la tête de pont, le 36th Engineer Combat Battalion commence par installer un pont Bailey, ainsi qu’un pont plus lourd. Si l’installation du second ne pose pas de difficulté, celle du Bailey est rendue plus difficile à cause des bouches à feu ennemies. Le 21 novembre, 40 véhicules lourds, dont 11 Sherman et Chasseurs de chars, peuvent traverser la Meurthe sur le pont lourd. Vers 11h00, les 21st et 36th Engineer ouvrent le pont Bailey et les divisions de la 3rd Division traversent la Meurthe en cadence soutenue. Toutefois, Brooks ordonne que soit donnée la priorité au ravitaillement et au soutien de la 103rd Infantry Division. Cela aboutit à un trafic engorgé sur la rive gauche de la Meurthe, empirant à mesure que le CC A de la 14th Armored est introduit dans cette partie du front du VIth Corps. Un nouveau changement de plan intervient encore le 21, ajoutant un peu plus à la confusion. A 14h00, Brooks change l’itinéraire du CC A en lui ordonnant de franchir la Meurthe à Saint-Quirin, secteur qui avait été sécurisé par la 2e DB française le 20 novembre. A partir de Saint-Quirin, le CC A pourra frapper dans les vallées rocheuses et forestières de la Sarre blanche et de la Sarre rouge. Son nouvel objectif se trouve être le secteur de Schimerck au croisement des N 392 et N 420, 10 km au sud-est de Saint-Quirin et à 8 km au nord de la trouée de Saales. De là, l’unité de Karlstad pourra couper la retraite aux Allemands. Avec les troupes allemandes occupées au nord ou commençant à se replier, Brooks pense que les chances de progression des blindés sont bonnes. Mais c’est sans compter sur les mines, les « booby traps », les obstacles routiers et le mauvais état des routes. Après un retard dans son déploiement, le CC A commence à avancer vers Schirmeck. Mais à moins de 3 km de la petite ville, il tombe sur un cratère géant qui le bloque pendant douze heures. Finalement, le 25 novembre après une série d’accrochages violents avec les Allemands, le CC A arrive à Schimerck… pour découvrir que d’autres unités du VIth Corps ont déjà sécurisé le secteur.
4 – Les 100th et 3rd Divisions
– A la fin de la journée du 21 novembre, Brooks est convaincu que les Allemands sont en train de se retirer rapidement. Il faut dire que le XVth Corps est en train de crever le front des Vosges plus au nord et s’apprête à déboucher au nord de la Plaine d’Alsace. Il envoie alors la 100th Division au nord-est le long des N 392 et N 424, la 3rd Division vers le nord sur la N 420, la 103rd vers l’est par la D 19 et enfin, la 36th Division vers l’est elle aussi sur les N 59 et N 415. Il enjoint aussi à ses commandants de divisions de former des Task Forces avec artillerie, chars, et chasseurs de chars. Conformément aux techniques qu’il a employé comme commandant de la 2nd Armored Division en Normandie et dans le nord de la France, Brooks recommande de contourner les points de résistance ennemis avec les moyens mécanisés et les isoler ensuite avec l’Infanterie. Mais même si le concept a pu porter ses fruits, son exécution va s’avérer beaucoup plus difficile en raison des difficultés du terrain.
– Le 22 novembre, l’Infanterie de la 100th Infantry Division avance de plus de 1 km vers l’est le long de la N 424, avant d’être dépassé par la Task Force Fooks. Le 23, le 397th Infantry avance en fer de lance de la division et couvre plus de 6 km, franchissant rapidement la trouée de Hantz et capturant Saint-Blaise-la-Roche, au croisement des N 424 et N 420, environ 4 km à l’est de la Trouée de Saales. Le Colonel Nelson I. Fooks tente ensuite de progresser au sud de la N 424 mais son unité rencontre des cratères d’obus et des obstacles routiers et son Infanterie est forcée de poursuivre à pied.
Le 24 novembre, le Major.General Burress abandonne l’emploi des Task Forces mécanisées et confie l’avance de sa division au 1/399th qui couvre 8 km en marchant et atteint Schirmeck à la tombée de la nuit. Toutefois, une seconde Task Force de la 100th Infantry Division comprenant le 1/398th et le 117th Cavalry Squadron réussit à progresser le long de la vallée de la Plaine et sur la N 392 au nord-est de Raon-l’Etape. Au soir du 24 novembre, les éléments de tête de cette TF n’ont rencontré qu’une résistance négligeable et poussent à 13 km au-delà de la Meurthe et le 25 novembre, le 117th Cavalry bascule à l’est le long de la N 392 et entre en contact avec le Combat Command A près de Schirmeck, au débouché de la N 420.
– De son côté, aussitôt ses problèmes de circulation et de ravitaillement résolus, la 3rd Infantry Division avance elle aussi rapidement vers le nord-est dès le 22 novembre. La Task Force Whirlwind avance en pointe dans les montagnes au nord de Saint-Dié. Rencontrant une faible résistance, la TF fait un bond de plus de 4 km jusqu’aux environs de Saulxures, moins de 1 km au sud de Saint-Blaise-la-Roche. Le 30th Infantry Regiment progresse moins rapidement vers l’est le long de la N 420 et doit s’arrêter à proximité de Saales pendant l’après-midi. Mais à l’extrême-droite de la Division, le 7th Infantry rencontre une plus vive opposition durant la journée, menée par le Füsilier-Bataillon 716. Finalement, les américains capturent 110 prisonniers dont le commandant du bataillon.
– Le 23 novembre, les unités de la « Rock of the Marne » viennent vite à bout de la résistance ennemie à Saales et Saulxures, avant d’opérer leur jonction avec la 100th Division à Saint-Blaise-la-Roche. Le jour même, les Américains font main basse sur tout un stock de munitions et de vivres, disposés dans des abris bien aménagés le long de la N 420. Si la 19. Armee avait pu disposer des forces humaines nécessaires pour tenir ces positions, l’avance e la 3rd Division aurait été bien plus difficile, sinon sanglante. Déjà fatiguées, les 708. et 716. ID ont été laminées et ne peuvent opposer aux Américains que des petits groupes de Grenadiers. Les deux divisions finissent par atteindre Schirmeck le soir même et entrent en compétition pour s’emparer de la ville. Le match tourne en faveur de la « Rock of the Marne » dès que le 15th Infantry Regiment nettoient la ville et opère sa jonction avec le 1/399th Infantry.
– Jacob L. Devers et Alexander M. Patch décide alors de renforcer immédiatement le dispositif du XVth Corps et lui attribuent la 100th Infantry Division. De son côté, la 3rd Infantry Division atteint Mutzig dans l’après-midi du 26, établissant alors la jonction avec la 45th Infantry Division. Initialement, le VIth Corps devait marcher sur Strasbourg après avoir percer la lisière est des Vosges mais ils apprennent que la 2e DB Française a libéré la capitale alsacienne trois jours auparavant. Du coup, la « Rock of the Marne » obtient 72 heures de repos.
5 – La 103rd Infantry Division dégage Saint-Dié
– Avant d’avancer vers l’est, la division du Major.General Haffner reçoit l’ordre de nettoyer une zone en triangle, délimitée dans le massif forestier entre Saint-Dié et la vallée du Taintrux. Les 409th et 410th Infantry Regiments (Colonels Claudius L. Lloyd et Henry J.P. Harding) s’acquittent de cette mission du 16 au 18 novembre, tandis que le 411th Infantry (Colonel Donovan P. Yeuell) garde le flanc gauche du régiment. La résistance ennemie est réduite au strict minimum. Pendant la nuit du 17-18 novembre, une patrouille du 410th Infantry entre dans la partie de Saint-Dié bordant la rive gauche de la Meurthe et trouve le secteur vide de soldats allemands. En revanche, ils tombent sur 40 000 civils qui s’entassent-là depuis le début de la campagne des Vosges, alors que Saint-Dié ne comptait que 20 000 âmes avant-guerre.
– Charles C. Haffner Jr. positionne alors le 411th Infantry d’Yeuell sur sa droite, en jonction de l’aile gauche de la 36th Infantry Division. Les deux autres régiments franchissent la Meurthe durant la nuit du 20-21 novembre et démarrent le nettoyage des monts forestiers au nord de Saint-Dié. Le 22, des éléments du 409th Infantry entrent dans la partie est de Saint-Dié par le nord et ne rencontre aucune résistance. En parallèle, l’unité mécanisée constituée de la division, la Task Force Haines, contourne Saint-Dié par le nord et sécurise la N 420 de Saint-Dié à Provenchères-s/-Fave. Cette localité tombe aux mains des Américains le 24 par la pression conjointe de la TF Haines et du 409th Infantry. A l’instar des deux autres divisions du VIth Corps, la 103rd Infantry tombe sur des positions abandonner et des stocks entiers d’approvisionnement. Au sud, le 411th Infantry traverser la Meurthe à hauteur de Saulcy-s/-Meurthe le 22 novembre sous un feu nourri d’armes légères et de mitrailleuses mais réussit à remonter la N 59 vers Saint-Dié.
– En accord avec les nouveaux ordres de Brooks, la 103rd Infantry Division avance à l’est pour atteindre Ville, un carrefour routier dans les montagnes, à environ 8 km à l’est de Saales. Mais l’objectif principal de la division de Haffner est Barr, localité débouchant sur la Plaine d’Alsace, juste au nord-est de Ville. Pendant l’après-midi du 26 novembre, les éléments de tête de la « Cactus » Division dégagent Ville mais se trouvent encore à plus de 4 km de la Plaine alsacienne.
6 – L’avance de la 36th Division
– A la mi-novembre, la division du Major.General John E. Dahlquist est la plus mal en point du VIth Corps. Fatiguées et à bout de force, ses compagnies de fusiliers sont réduites à 30% de leurs effectifs réglementaires. Pendant la période du 10-19 novembre, la division effectue néanmoins une pression vers l’est et le sud-est, alors que la 103rd Division se positionne sur la rive ouest de la Meuse. Dans la soirée du 19 novembre, la 36th Division finit par occupier ses objectifs assignés lors de l’Opération « Dogface » sur les monts dominant la Meuse, dans le secteur de Sanit-Léonard au sud de Saint-Dié. La division dégage ensuite le terrain dominant Anould, 1,5 km plus au sud et se trouve à portée de Gerardmer qui sera enlevé par le Corps Franc Pommiès et les éléments de reconnaissance de la 3e DIA.
– La « Lone Star » fait alors face à la 198. Infanterie Division du IV. Luftwaffe-Feld-Korps mais les 17-18 novembre, cette division doit redéployer son dispositif sur son flanc sud en raison de la percée des Français à Belfort. Pour couvrir sa retraite, Friedrich Wiese envoie la 16. Volks-Grenadier-Division tenir le secteur Anould – Fraize, ce qui s’avère impossible au vu de l’état de ses forces. Du coup, au lieu de prendre position directement sur la rive droite de la Meurthe, la 16. VGD occupe la ligne de la Crête des Vosges, 5-8 km à l’est de la rivière.
– Edward H. Brooks ordonne alors à Dahlquist de s’enfoncer d’avantage vers l’est dans le Massif des Vosges sur deux axes de progression. Le premier, depuis Saint-Dié sur la N-59 vers le Col de Sainte-Marie-aux-Mines pour accrocher la route de Sélestat ; le second depuis Fraize vers le Col du Bonhomme par la N 415. Néanmoins, le 20 novembre, la 36th Division traverse la Meurthe entre Saint-Léonard et Clefcy mais progresse lentement en raison d’un tir de barrage d’artillerie et de mortiers et aussi, à cause du terrain difficile fortement miné. Le 21, Texans et autres occupent Anould, ainsi qu’une importante section de la N 415, qui sert de principale ligne de communication aux IV. Lftw-Fd.K. En revanche, elle rencontre davantage de difficultés pour s’assurer le contrôle de la N 59, notamment dans le secteur de Ban-de-Laveline, environ 5 km à l’est de Saint-Dié, où les défenses allemandes sont très bien aménagées. Les éléments de la 36th Division y sont donc bloqués du 21 au 23 mais le 24, la défense faiblit.
Sur le flanc sud, Fraize tombe et les hommes de Dahlquist se trouvent presque à l’entrée du Col du Bonhomme mais la résistance des Volks-Grenadiere s’y fait plus tenance. Au nord, d’autres unités dégager Wisembach sur la N 59. Le 25 novembre, Sainte-Marie-aux-Mines tombe et la division pousse jusqu’à Sainte-Croix-aux-Mines, à 6-7 km de la Plaine d’Alsace.
– Malheureusement en dépit de leurs succès, les forces du VIth Corps ont perdu du temps en raison des premières attaques désordonnées et des trois modifications du plan par Brooks qui ont ajouté à la confusion. Comme l’explique Jeffrey L. Clarke, la décision du général de commencer la poursuite aussitôt après la traversée réussie de la Meurthe était bonne mais ses forces n’étaient pas préparer à changer brusquement de rythme. Brooks a tenté d’appliquer les recettes de l’Opération Cobra en Normandie (sa 2nd Armored Division y avait d’ailleurs joué un rôle capital) à des unités d’infanterie. Mais il faut aussi bien voir que, tels Haislip ou son prédécesseur Truscott, Brooks voulait pousser le VIth Corps le plus loin possible à l’est dans un délai assez court et sans voir ses lignes de ravitaillement s’étirer sensiblement.
– Le 26 novembre, Brooks redéploie ses forces. Strasbourg ayant été libérée le 23 novembre par la 2e DB, il reçoit alors l’ordre d’envoyer la 103rd Infantry Division sur Sélestat et la 36th vers Colmar. De son côté, la 100th Infantry Division doit avancer vers le nord pour maintenir la charnière fermée avec le XVth Corps. Mais le succès du VIth Corps va aussi dépendre des succès de la Ire Armée française qui combat durement entre Altkirch et Mulhouse.
Source :
– CLARKE Jeffrey L. : Riviera to Rhine, http://www.iblio.org
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