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Chroniques des Dardanelles (1915-2015) – 10

LA SECONDE BATAILLE DE KRYTHIA (28 avril – 9 mai 1915)

– L’erreur grossière de Hamilton est d’avoir laissé Kum Kale inoccupé, permettant ainsi aux Turcs d’y réinstaller des canons qui pilonnent impunément la partie européenne.
Cependant, les 26-27 avril, la 1re Brigade Métropolitaine (Général Vandenberg) débarque sur « V » Beach pour occuper la partie sud (gauche) du Cap Helles. Les Français sont flanqués par la 88th Brigade qui tient le centre, à cheval sur deux cours d’eaux parallèles (Achi Baba Nullah sur la droite et Krithia Nullah à gauche). La 87th Brigade tient la partie gauche du Cap Helles, entre le ravin de Gully et Krithia Nullah et enfin, la 86th Brigade, très éprouvée le 25 avril, se tient en réserve. Ajoutons que le débarquement de la 29th Infantry Division s’est effectué dans des conditions peu adéquates, avec une confusion certaine et sous la menace des bouches à feu turques.

Artilleurs français du 30e ou 39e RA au Cap Helles avec leurs canons de 75

Artilleurs français du 30e ou 39e RA au Cap Helles avec leurs canons de 75

– Le Major.General Aymler Hunter-Weston prévoit de faire avancer sa division dès 16h00 le 27, vers Achi Baba en s’assurant le contrôle d’une ligne en angle droit Sari Tepe – Yazi Tepe – Krithia. Les Britanniques doivent attaquer avec la Cote 236 (Batterie de Tott) comme pivot. Cette tâche devra être assurée par ses deux brigades, tandis que le 175e RI français (Lieutenant-Colonel Forey) devra progresser vers le ravin du Kereves Dere.
Seulement, suite à une sérieuse confusion, plusieurs bataillons ne reçoivent leur ordre que tardivement et les officiers ne connaissent pas le terrain sur lequel ils doivent lancer leurs hommes. En revanche, les Turcs ont reçu des renforts et n’ont pas tardé à s’enterrer dans des tranchées. Bientôt, ce sont 17 000 soldats ottomans qui se massent sur le Cap Helles, bénéficiant de la hauteur d’Achi Baba qui leur permet d’observer le dispositif franco-britannique. Les unités défendant le Cap Helles sont alors placées sous la direction de l’Oberst von Sodenstern

– L’attaque des deux brigades britanniques commence le 28 avril, avec l’appui du 175e RI sur la droite. Mais la coordination n’est pas bonne, défaut accentué par les trois cours d’eau mentionnes plus haut. Les 25e et 26e Régiments turcs résistent bien et bloquent les Britanniques, tandis que les Français parviennent à arracher moins de 1 km de position à l’ennemi. Mais plusieurs bataillons turcs récemment arrivés passent à la contre-attaque et repoussent les Français et la 88th Brigade (1st Essex, 2nd Hampshire, 2/1st City of London et 4th Worcestershire). 1 000 soldats Français sont vite perdus, ainsi que 2 000 Britanniques.

– Depuis Constantinople, Enver Pacha ordonne de lancer une puissante contre-attaque mais Liman von Sanders préfère attaquer de nuit afin de rendre ses forces moins vulnérables aux tirs navals franco-anglais. C’est l’Oberst von Sodenstern qui se charge de diriger l’assaut avec des éléments des 7e et 9e Divisions. Il est prévu pour le 1er mai à 22h00.
L’attaque des soldats turcs démarre brutalement contre les lignes du 175e RI, du 1er RMA et de la 29th Infantry Division. Les charges sont violentes, menées à la baïonnette et à la grenade. Les pertes sont particulièrement lourdes. Durant la nuit, les seuls Irlandais du 1st Bn. Munster ne comptent plus que 4 officiers et 430 soldats. Tout à droite, la Brigade Métropolitaine reçoit un choc violent et un parti de soldats Turcs submerge la Ferme de Zimmermann, parvenant même jusqu’aux rives de la Baie de Morto. Heureusement, le Général Bailloud a fait débarquer sa Brigade Coloniale, rameutée de Kum Kale par navires et qui vient immédiatement s’intercaler entre les lignes de la Métropolitaine et celles de la 29th Division. Mais les Turcs se battent toujours rageusement et ont déjà emporté plusieurs tranchées françaises. Il faut que faire donner les pièces de 75 et 150 mm des 30e et 39e RA pour les faire déguerpir, avec l’aide des pièces de 12 pouces de la Royal Navy.


– A l’aube, la Division du CEO passe à la contre-attaque avec l’appui des canons de la Royal Navy et le concours du Hood Battalion RMLI de la 2nd Naval Brigade (63rd Royal Naval Division). La situation se stabilise, même si le Hood se retrouve bloqué par un violent tir de Shrapnels.
Après trois journées d’accalmie, la nuit du 2 mai est marquée par un violent échange de tir mais les Turcs ne relancent pas d’attaque nocturne. Mais profitant de l’arrivée de la 15e Division dans la Péninsule de Gallipoli, la 7e Division relance une charge dans la nuit du 3 mai. Mais cette fois-ci l’artillerie française ne se laisse pas surprendre et massacre les vagues d’assaut ottomanes.
Cet échec provoque le remplacement de von Sodenstern au commandement du Groupement Sud (défense du Cap Helles) par Weber Pacha. En revanche, les Turcs reçoivent l’appoint très appréciable de mitrailleuses Maxim débarquées du croiseur « Goeben », qui viennent renforcer les 15 000 fusils encore disponibles sur cette partie du front.

– Mais du côté allié, la situation n’est guère réjouissante. Les Français ont subi de lourdes pertes et ont impérativement besoin de renfort. Albert d’Amade peut compter sur l’arrivée prochaine de la 2nde Division du CEO mais il doit patienter jusqu’au 6 mai. Chez les Anglais, la 29h Infantry Division de Hunter-Weston est tout simplement laminée et les Royal Marines éprouvés de la 63rd RND ne peuvent être plus efficaces, en raison du manque sérieux d’artillerie dans la division. Ceci-dit, Hunter-Weston veut lancer un nouvel assaut, en profitant de l’arrivée de la 29th Indian Brigade comme de la 125th Brigade de la 42nd Division, toutes deux arrivées d’Egypte. Considérant que la situation semble stabilisée du côté de l’ANZAC, les Généraux britanniques envoient la New Zealand Mounted Rifles Brigade et la 2nd Australian Brigade au Cap Helles. Ces unités sont alors rattachées à la 29th Infantry Division.
Le plan préparé par Hunter-Weston et son état-major se révèle particulièrement irréaliste. Il est question que les Français s’emparent du Kereves Dere, avant que les troupes britanniques attaquent Krithia et Yazi Tepe, avant de progresser sur Achi Baba. Le tout avec le concours de l’artillerie et des pièces de la Royal Navy. En revanche, les alliés n’ont pas la connaissance exacte des positions turques.

– Le 6 mai à 10h30, sous un ciel azuréen, Français et Britanniques font donner l’artillerie pour un tir de préparation du quarante minutes, même si les fantassins doivent attaquer à 11h00.
A 11h00, la 1re Division du CEO passe à l’attaque. La riposte des Turcs est impitoyable et des centaines de soldats coloniaux et métropolitains tombent. Cependant, les Français réussissent à se cramponner au terrain et à approcher la « Redoute de Bouchet ». Le 7 mai, la Redoute de Bouchet est prise et le 8, après des combats particulièrement sanglants, le Kereves Dere est atteint. Mais les Français se retrouvent bloqués par un ravin escarpé, bien couvert par une défense efficace et ne peuvent avancer davantage.

– Au centre, bien que n’ayant aucune nouvelle des Français, Hunter-Weston lance ses brigades à l’assaut. Progressant avec le Hood Battalion RMLI le long de l’Achi Baba Nullah, la 88th Brigade se retrouve bloquée par les tirs des Turcs particulièrement bien dissimulés dans le terrain. Hunter-Weston ordonne de relancer une attaque le lendemain mais peu de terrain est gagné pour un grand nombre d’hommes perdus.

– Hamilton ne peut accepter le fait que ses forces se retrouvent dans une impasse et décide de relancer une attaque pour le 8 mai avec les cavaliers démontés Néo-Zélandais. Ceux-ci doivent attaquer le long de « l’Éperon du Sapin » (« Fir Tree Spur », appelé aussi « Daisy Patch ») mais sans le soutien de la 29th Infantry Division. La New Zealand Mounted Rifles Brigade (Andrew Russell) vient occuper les positions tenues jusque-là par le 4th Bn. Worcestershire, le 1st Dublin Fusiliers et le 1st Munster Fusiliers.
L’assaut de démarre le 8 mai à 10h30 dans la confusion, lié à sa planification sans cohérence. Le Wellington Mounted Rifles Battalion doit attaquer sur la gauche, l’Auckland Mounted Rifles au centre et le Canterbury Mounted Rifles sur la droite. Sans aucun soutien, l’attaque des Néo-Zélandais tourne au purement et simplement au massacre. Bondissant d’à peine 180 m vers les positions turques, les soldats du Dominion sont fauchés par compagnies au fusil et à la mitrailleuse.

– Ayant débarqué au Cap Helles pour se rendre compte de la situation, Ian Hamilton décide de relancer une nouvelle attaque à 17h30. C’est la 2nd Australian Brigade du Colonel M’Cay (5th, 6th, 7th et 8th Battalions) qui la mène de façon isolée. Résultat, les Australiens chargent courageusement au cri d’« Ynchi Yallah ! » pour être accueilli à la mitrailleuse par les hommes de la 7e Division turque.
Dans une lettre qu’il adresse à Lord Kitchener à la fin de la journée, Ian Hamilton ne peut que faire le constat de l’échec de ses attaques successives. Mais le lendemain, il adresse un nouveau courrier à Kitchener dans lequel il explique qu’un succès est possible avec l’arrivée de deux divisions supplémentaires. Kitchener répond qu’il a juste la 52nd Lowland Division à lui envoyer.

– Cependant, un succès est remporté par les Britanniques, suite à une attaque imaginative menée par la 29th Indian Brigade (Cox) contre les positions défensives turques autour de « Y » Beach. Armés de fusils et de leur poignards courbes nommés « Kukri », les soldats népalais du 1/6th Gurkha Rifles rampent de nuit jusqu’au pied des falaises sur lesquelles sont positionnées les défenses turques au nord d’« Y » Beach et les contournent. Surgissant derrière leurs ennemis, les Gurkhas chassent les Turcs de plus de 450 m plus au nord. Ce succès sera plus tard nommé « The Gurkha Bluff ». Mais les Turcs ont aussi renforcé leurs positions sur leur droite afin de prévenir d’un contournement britannique.

Cavaliers Néo-Zélandais de la NZ Mounted Rifles Brigade Source : http://www.nzmr.org/shepherd.htm

Cavaliers Néo-Zélandais de la NZ Mounted Rifles Brigade
Source :
http://www.nzmr.org/shepherd.htm


** LA BATAILLE S’ENTERRE

– Après la « Seconde bataille de Krithia », les adversaires s’enterrent des deux côtés, aménageant leur réseau de tranchées. En dépit du climat plus sec et chaud qu’en Europe, les conditions de vie des soldats français et britanniques deviennent très difficiles. L’eau vient à manquer, le manque d’hygiène est flagrant et la dysenterie commence à faire des ravages dans les rangs. Les poux et les rats ne tardent pas non plus à faire leur apparition. Les soldats alliés tués sont enterrés sur le Cap Helles. Mais on doit brûler les cadavres de soldats Turcs en putréfaction pour empêcher au choléra de se répandre.
Seuls les Légionnaires français, habitués à un environnement aride s’en tirent à meilleur compte. Selon le témoignage du soldat Cornelius Jean de Bruin (Bataillon Geay, Légion Étrangère, 1er RMA), la priorité du légionnaire aux Dardanelles est « de se fournir en cigarettes ! » (1)
Lors des périodes de repos à l’arrière, l’hygiène corporelle consiste simplement dans les bains de mers. Les Turcs font aussi donner le canon mais leurs munitions viennent à manquer. Et comme en Europe, les deux camps rivalisent dans l’emploi des snipers.

(1) in HART Peter : Gallipoli