Chroniques de la Bataille de Normandie – 23/ « Cobra » (Première partie)
Malgré l’échec d’une percée décisive lors de la « Bataille des Haies », les Américains ont réussi à élargir leur tête de pont et contrôlent maintenant Saint-Lô qui peut leur servir de tremplin opérationnel pour lancer des offensives vers Coutances (ouest) et Vire (sud-Est).
En outre, Bradley est pleinement en mesure de réaliser ce projet puisque le Port de Cherbourg lui assure une logistique de très loin supérieure à celle des Allemands.
1 – ROMPRE (ENFIN) LE FRONT ALLEMAND !
Ainsi, le 20 juillet, les Américains disposent de plus de 700 000 hommes, 350 000 véhicules, 1,5 millions de tonnes de munitions. Concernant les hommes, il faut toutefois noter que les rangs américains comptent beaucoup de remplaçants qui n’ont aucune expérience des combats et auxquels les « vieux » ne s’attachent que très difficilement.
– Bradley prévoit de rompre le front de la 7. Armee de Hausser en plein dans le secteur du LXXXIV. Korps de von Choltitz sur la route Saint-Lô – Periers dans un quadrilatère La Chapelle-en-Juger – Hébécrevon – Marigny – Saint-Gilles. Son plan est d’assommer littéralement les positions allemandes par un « Carpet Bombing » (« Tapis de bombe ») effectué par 1 900 bombardiers B-17 et B-24 de la VIIIth US Army Air Force (Carl Spaatz) ainsi que par 600 chasseurs bombardiers P-47 et P-51 de la IXth US Army Air Force (Lewis Brereton). Ensuite, après un pillonnage d’artillerie donné par 1 100 canons et Howitzer, les fantassins et les Chars des VIIth et VIIIth Corps de Collins et Middleton perceraient pour laisser ensuite la place aux éléments de pointe de la IIIrd Army de Patton. Le bombardement doit s’effectuer non pas sur une ligne étendue mais sur 7 kilomètres de long et 3 de large.
– Pour les opérations au sol, Bradley a donc réuni une force considérable de près de 150 000 hommes. Quant à ses formations blindées, elles additionnent en tout 1 269 M4 Sherman, 649 chars légers M3/M5 Stuart et 288 Tank Destroyers M10 Wolverine.
– Le succès de Cobra dépend en somme de la percée du VIIth Corps entre La Chapelle-en-Juger et Hébrevecon (voir cartes). Le plan de Collins se découpe comme suit :
1 – La percée dans le fameux quadrilatère doit être opérée par 4 divisions d’Infanterie (1st, 4th, 9th et 30th) et par deux divisions blindées (2nd et 3rd), sans compter les Tank Battalions et Tank Destroyers Battalions, chargés d’appuyer chaque unité d’Infanterie.
2 – Sur la droite (ouest), la 83rd Infantry Division de Macon doit traverser la Taute puis s’emparer la route Saint-Lô – Périers, ainsi que d’une intersection vitale afin d’empêcher toute contre-attaque de flanc de la part du LXXXIV. AK.
3 –Toujours sur le flanc droit, la 9th Infantry Division d’Eddy doit ouvrir le passage à la 3rd Armored en prenant Marigny. Elle doit ensuite exercer une forte pression vers l’ouest pour former un mur protecteur aux pointes blindées qui fonceront vers le sud. Enfin, la 30th Infantry Division de Leland S. Hobbs doit ouvrir le passage aux chars vers Saint-Gilles pour se positionner en défensive dans une orientation nord-ouest – sud-est.
4 – Ensuite, les 2nd et 3rd Armored Divisions des Major.Generals Edward H. Brooks et Leroy H. Watson, chacune scindée en 3 Combat Commands, doivent s’engouffrer dans la brèche qui leur aura été ouverte. Il faut bien noter qu’à la différence notbale des Panzer-Divisionen, les Armoed Divisions américaines N’ONT PAS UNE VOCATION D’ASSAUT à proprement parler mais plutôt UNE VOCATION D’EXPLOITATION DE PERCÉE EN VUE DE GARANTIR LA RÉUSSITE DE L’OFFENSIVE. C’est pour cette raison que Collins prévoit de les faire intervenir EN SECOND ÉCHELON DE SON OFFENSIVE ; soit le 26 juillet dès lors que les éléments de ses 4 Divisions d’Infanterie auront crevé le carré Pont-Hébert – Hébrecrevon –
– Plus à l’ouest, le VIIIth Corps de Troy H. Middleton doit forcer la Mahlmann Linie en plusieurs endroits. La 79th Infantry Division d’Ira Wyche et le 106th Cavalry Group du Colonel Vennard Wilson doivent franchir l’Ay et s’emparer de Lessay pendant que les 8th et 90th Infantry Divisions, commandées respectivement par Donald A. Stroh et Raymond S. McLain doivent franchir la Sèves et la Taute, avec l’appui de la 4th Armoured Division du Maj-Gen. Jack S. « Tiger » Wood afin de s’emparer de Periers et de la portion de route menant à Saint-Lô.
– L’achèvement réussi de cette première phase permettra à Bradley de « lâcher » en second échelon le bouillant et fonceur Lieutenant-General George S. Patton Jr et sa IIIrd Army vers Avranches, clé du débouché vers la Bretagne, la Mayenne et la Sarthe. Le but affiché est de tourner tout le Heeres-Gruppe B par le sud durant le mois d’août. Le « chaudron de Falaise » n’est pas encore dans les esprits d’Eisenhower et de ses subordonnés mais il se dessine clairement.
En complément, les Vth et XIXth Corps de Gerow et Corlett se voient attribuer la mission (plus ingrate) de remonter la Vallée de la Vire afin de repousser le II. Fallschirm-Korps vers le bocage Normand, plus au sud-est.
– D’autre part, afin de mieux manœuvrer dans le bocage normand, les Américains ont mis au point toute une série d’accessoires pour chars Sherman et Stuart conçus pour défoncer les haies. On compte bien sûr, le très célèbres « Culin’s Cuters » ou Rhinoceros mis au point par le Staff-Sergent Curtis G. Culin du 102nd Reconnaissance Squadron de la 2nd Armored Division à partir de « hérissons tchèques » en acier disponibles en grand nombre sur les plages Omaha et Utah. Mais d’autres moins connus ont été utilisés par les tankistes américains et ce dès la Bataille des Haies et les opérations contre Saint-Lô ; le Sherman « Dozer » équipé d’un simple bulldozer, les « Chars Tamponneurs » ou « Fourchettes à Salades » mis au point par le Lieutnant Charles Green. Toutefois, l’efficacité de ces accessoires de la configuration du terrain. Ainsi, la 2nd Armored utilisera les Culin’s Cutter avec succès, ce qui ne fut pas le cas de la 3rd Armored qui dut manœuvrer dans un terrain labourré par les bombes et les obus et criblé de cratères.
– De leur côté, les divisions de fantassins continueront à utiliser les techniques mises au point par le Lt.Colonel Ploger commandant du 121st Combat Engineer Battalion (29th Division) consistant à placer des charges explosives contenues dans des douilles d’obus d’artillerie à la base des haies.
2 – FORCES ALLEMANDES
– Middleton et Collins ont face à eux l’ensemble du LXXXIV. AK de Dietrich von Choltitz qui couvre la fameuse Mahlmanns-Linie. Celle-ci s’étend du littoral de la Manche jusqu’à Saint-Lô. Les « Diables Verts » du II. Fallschirm-Korps d’Eugen Meindl sont partiellement concernés par cet assaut américain (l’aile gauche en particulier).
– L’aile gauche (ouest) de von Choltitz qui tient une zone allant du littoral jusqu’à la route Periers-Coutances est formée des restes des 243. Infanterie-Division (Klosterkämper) et 91. Luftlande-Division (König). Les 353. ID (Mahlmann), 5. Fallschirmjäger-Division (Gustav Wilke), 2. PzDiv « Das Reich » (SS-Standartenführer Christian Tychsen) et 17. SS-PzGren-Div « Götz von Berlichingen (Otto Baum), 275. ID (Schmidt) et Panzer-Lehr (Bayerlein), tiennent une sorte de triangle qui a pour côtés l’ouest de la route Coutances–Périers, le nord de la route Coutances–Saint-Lô et bien sûr, la route Saint-Lô–Périers.
– Seulement, les forces allemandes sont nettement affaiblies depuis les combats du mois de juin. Certes, Landser, Fallschirmjäger et Waffen-SS ont infligé des pertes terribles aux GI’s lors de la « Bataille des Haies » mais contrairement aux Américains, ils ne peuvent remplacer leurs pertes – lourdes elles-aussi – en proportion des besoins du moment. En raison des attaques aériennes fréquentes, le ravitaillement fait défaut, les munitions et le matériel de remplacement viennent à cruellement manquer. Les Panzer et Sturmgeschützte perdus ne sont remplacés qu’en partie ; ce qui force parfois certains équipages à devoir combattre comme de simples fantassins. Enfin, le remplacement en hommes ne se fait qu’avec des réservistes ou des appelés bien souvent inexpérimentés et en nombre insuffisant.
3 – LE BOMBARDEMENT DU 25 JUILLET
– A 09h38 du matin le 25 juillet, les premiers appareils du Tactical Air Command IX (Elwood R. « Pete » Quesada) commencent à matraquer les lignes du LXXXIV. AK de von Choltitz. Ils sont suivis par les bombardiers de la VIIIth Air Force qui déversent leurs 4 000 tonnes de bombes dans le quadrilatère à percer. Marigny, Saint-Gilles et La Chapelle-en-Juger sont tout simplement rayés de la carte. Une tragique erreur de guidage fait que plusieurs appareils larguent leurs bombes dans les lignes du 120th Infantry Regiment de la 30th Division . On compte plusieurs centaines de tués dont l’un des plus hauts gradés de l’US Army, le General Lesley McNair, commandant et superviseur en chef de l’Infanterie US, venu en inspection à ce moment. On voit même des GI’s ivres de rage se saisir de leurs armes et tirer sur les bombardiers de leur propre camp !
– Il n’empêche, les positions allemandes sont littéralement ravagées. Bon nombre de Panzer et de Sturm-Geschützte sont retournés comme des jouets sous l’effet des déflagrations. La Panzer-Lehr, qui avait tenue la dragée bien haute à Collins, est pratiquement anéantie. Effondré, Fritz Bayerlein adresse ce mot à l’état-major de la 7. Armee de Hausser : « Vous me demandez si mes Panzegrenadiere tiendront leurs positions et si mes Pioniere ne sortiront pas de leurs trous ! Oui, tous tiendront ! Tous, car ils sont morts ! » Les restes de la 275. ID de Schmidt, tout comme plusieurs éléments des « Das Reich » et « Götz von Berlichingen » sont moins touchés.
4 – LES DÉBUTS PEU FRUCTUEUX DE L’ASSAUT DU VIIth CORPS
– Passé le bombardement, les fantassins américains gagnent leurs lignes de départ pour se préparer à l’assaut qui doit avoir lieu avant midi. Pendant ce temps, les 1 100 pièces d’artillerie de 105 et 155 mm matraquent les positions allemandes. Après le barrage roulant, les GI’s se lancent à l’assaut à travers les haies, s’appuyant mutuellement avec les Sherman Dozers et Rhinoceros.
– Seulement, si la défense allemande a été entamée plus que sérieusement, elle n’est pas morte pour autant. Avec une énergie déconcertante, les survivants au bombardement se resaississent et barrent la route aux assaillants. Ainsi, le 330th Infantry Regiment du Col. McLendon (seul élément de la 83rd Division à être engagé) se heurte à une défense particulièrement bien coordonnée de la part des éléments de la 5. Fallschirm-Div de Wilke. Après avoir réparé leur réseau de communications téléphoniques, les Fallschirmjäger dirigent un barrage d’artillerie particulièrement efficace, forçant le 330th Infantry à cesser sa progression après avoir parcouru seulement 780 mètres !
– Sur la gauche du 330th Infantry, la 9th Infantry Division n’a pas plus de chance dans son assaut vers Marigny. Les hommes de McLendon doivent progresser dans un terrain particulièrement difficile, formé de hauts-talus et de petits marécages. Après une confusion lors du départ, les unités de tête des « Old Reliables » se heurtent à une très forte résistance le long de la route Saint-Lô–Periers. Des groupes de Landser appartenant aux 353. ID et Panzer-Lehr ayant survécu au tapis de bombes, surgissent de leurs trous et constituent des points de défenses « en hérisson » difficilement neutralisables. Avançant alors précautionneusement, les GI’s d’Eddy parviennent à abattre environ 1,5 km avant de s’arrêter pour consolider leurs lignes.
– Au centre du VIIth Corps, la 4th Division de Barton n’engage que le 8th Infantry du Colonel James S. Rodwell qui attaque en direction de la route Saint-Lô–Périers avec deux Bataillons. Ce Régiment est plus chanceux que les Regiments des 83rd et 9th Divisions car il réussit à parcourir près de deux kilomètres et enveloppe un point fort de résistance ennemie au nord de la route Saint-Lô–Périers. Mais en bifurquant vers le sud, le bataillon de tête du 8th tombe sur une opposition beaucoup plus vigoureuse. A la tombée de la nuit, les hommes de Rodwell sont juste à portée de fusil des abords est de La Chapelle-en-Juger. L’autre bataillon se retrouve aux prises avec un parti d’allemands de la Panzer Lehr cachés dans un verger. Après un moment de confusion qui provoque la séparation des 18 Sherman d’accompagnement et des fantassins, l’assaut reprend et chasse les allemands du verger. Le Bataillon réussit à traverser la route Saint-Lô – Periers et à parcourir 680 mètres plus au sud, avant de se faire arrêté par deux Panzer IV. Fantassins et Sherman se retrouvent encore séparés et ce sont les premiers qui viennent à bout des deux blindés à coups de Bazookas. Finalement, les Sherman du 70th Tank Battalion arrivent en renfort et contribuent à pulvériser les défenses allemandes, permettant au 8th Infantry d’accrocher les abords de La Chapelle-en-Juger. Mais un tir de barrage d’artillerie ennemie incite Barton à arrêter la progression de ses GI’s.
– Sur l’aile gauche du VIIth Coprs, la 30th Infantry Division « Old Hickory » de Hobbs démarre son attaque avec un sérieux coup au moral, dû au bombardement ami du matin. Le Major.General Hobbs monte une attaque scindée en deux colonnes qui doivent s’emparer de Saint-Gilles et de Hébécrevon et franchir la Route Saint-Lô–Périers.
Sauf que dès le départ, les trois compagnies d’assaut du 120th Infantry du Colonel Hammond Birks se font barrer la route par trois Panther. Une nouvelle attaque montée avec l’aide des Sherman « Rhino » du 743rd Tank Battalion échoue elle aussi. Hobbs tente alors une manœuvre en double enveloppement. Grâce à une excellente coordination Infantry-Chars-Génie, le 120th Infantry réussit à tourner les points de résistance de la Panzer-Lehr, tout en détruisant une douzaine de Panzer et de blindés légers.
– Le 119th Infantry du Col. Edwin M. Sutherland connaît une progression plus difficile en raison des cratères d’obus et de l’absence de chemins adéquats pour faire passer les blindés. A la tombée de la nuit, les fantassins guident les Sherman de façon à éviter les cratères et les champs de mines. Se positionnant de manière à obtenir un tir direct, les Sherman appuient efficacement les hommes de Sutherland qui enlèvent Hébécrevon vers Minuit.
– Pour Bradley, Collins et leurs subordonnés, le bilan de cette première journée est plutôt décevant. Certes, Hébécrevon – du moins ce qu’il en reste – est libéré mais ce n’est pas le cas de Marigny et de La Chapelle-en-Juger. Les chefs américains sont d’autant plus déçus qu’ils s’attendaient à ce que le bombardement massif sur un périmètre réduit pulvérise toutes les forces allemandes qui s’y trouvaient. Or, les jeunes Panzergrenadiere et Pioniere survivants de la Panzer-Lehr, tout comme leurs camarades de la 5. Fallschirm-Div ont prouvé que des petits groupes déterminés, bien que sans coordination aucune, pouvait mettre à mal l’assaut initial. On voit encore ici la trop grande confiance que les commandants américains accordent à l’aviation de bombardement.
– Mais nous ne y trompons pas, si les hommes de von Choltitz ont encore prouvé leur capacité de réaction efficace, ils ne peuvent que rester en position défensive et pire encore, ils n’ont AUCUNE réserve adéquate pour lancer des contre-attaques, mêmes localisées. En face, Bradley et Collins ont des réserves. Et non des moindres.
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