Chroniques de la Grande Guerre : La mobilisation allemande
– Dans son ouvrage « La Guerre d’aujourd’hui » (« Vom heutigen Kriege ») où il défend une conception agressive de la manière de mener une guerre, le Général allemand Friedrich von Bernhardi explique en commentant la stratégie du Plan Schlieffen s’appuyant sur la rapidité des opérations : « le parti qui a fini sa mobilisation le plus tôt et qui peut commencer sa concentration et ses opérations avant l’autre, a un avantage certain ».
– Ainsi donc, la mobilisation allemande est fondée sur un processus rationnel qui doit permettre au IInd Reich de concentrer un maximum de forces à l’ouest et à l’est en vue démarrer son offensive contre la France fondée sur la rapidité et la puissance de feu. Et ce, avant de pouvoir se retourner contre la Russie dès lors que l’Armée française aura été anéantie.
– Du coup, la mobilisation allemande a été pensée dès la fin du XIXe siècle par le Grand Etat-Major Impérial dès lors que la France s’était fermement alliée à la Russie, menaçant ainsi le Reich sur ses frontières occidentales (Alsace-Lorraine) et orientales (Prusse-Orientale, Silésie). Sa mise au point a été d’autant plus facilitée avec l’éloignement du Gross-Admiral Alfred von Schlieffen et la reprise en main de l’appareil militaire impérial par les terriens (von Moltke et Ludendorf).
1 – LES MOYENS HUMAINS ET LEUR ORGANISATION
– Comme nous l’avons dit dans l’article consacré à l’Infanterie allemande, tout comme sa future adversaire française, l’Armée allemande compte une armée d’active (Kaisersheer) qui rassemble environ 840 000 hommes grâce à l’extension des effectifs par le Reichstag en 1911-1912 ; extension souhaitée par Erich Ludendorf et approuvée par le Kaiser. A côté de cette Kaisersheer, on compte l’Armée de Réserve (Ersatz-Armee) et les réservistes de la Landwehr, soit les jeunes allemands ayant accompli leur service militaire. En tout, Guillaume II et le Grand Etat-Major pourront appeler plus de 3,7 millions de soldats en août 1914.
– La mobilisation allemande se fait par conscription militaire (Wehrkreise), quelque peu à l’exemple des Régions Militaires françaises. Chacune de ces Wehrkreise lève un Korps, soit 22 sur l’esnemble du territoire du Reich. En voici le détail :
– Preussens-Garde (Berlin)
– I. Korps (Prusse-Orientale / Königsberg)
– II. Korps (Poméranie / Stettin)
– III. Korps (Brandebourg / Berlin)
– IV. Korps (Saxe / Magdebourg)
– V. Korps (Posen)
– VI. Korps (Silésie / Breslau)
– VII. Korps (Westphalie / Munster)
– VIII. Korps (Royaume du Rhin / Coblence)
– IX. Korps (Mecklembourg – Schleswig-Holstein / Altona)
– X. Korps (Hanovre)
– XI. Korps (Thuringe / Cassel)
– XII. Korps (Dresde)
– XIII. Korps (Wurtemberg / Stuttgart)
– XIV. Korps (Bade / Karlsruhe)
– XV. Korps (Alsace / Strasbourg)
– XVI. Korps (Lorraine / Metz)
– XVII. Korps (Prusse Occidentale / Dantzig)
– XVIII. Korps (Hesse-Nassau / Francfort)
– XIX. Korps (Saxe Royale / Leipzig)
– XX. Korps (Prusse Orientale)
– XXI. Korps (Bavière Rhénane / Sarrebrück)
– I. Bayerisches-Korps (Royaume de Bavière / Munich)
– II. Bayerisches-Korps (Royaume de Bavière / Wurzbourg)
– III. Bayerisches-Korps (Royaume de Bavière / Nuremberg)
– Dans le détail, l’Armée de Guillaume II compte 25 Corps (Korps) d’active (Prussiens, Saxons, Badois et Wurtembergeois), 3 Corps Royaux Bavarois, le Preussen-Gardes-Korps (Garde Prussienne) et 21 Corps de Réserve. Ces forces de réserve se partagent en 18 Corps de Réserve Prussiens, Saxons, Badois et Wurtembergeois, 2 Corps de Réserve Bavarois et le Corps de Réserve de la Garde. Le tout représente 1,9 million d’hommes. C’est donc 1,4 millions d’hommes issus de l’Armée que von Moltke va lancer contre la France (entre la Sambre et la Meuse) et contre la Belgique dans les premières semaines de la Guerre.
– En comparaison, la France ne pourra aligner que 21 Corps d’Armée à sa mobilisation (active et éléments de réserve) mais ils n’auront pas à combattre sur deux fronts opposés. A Noël 1914, le Grand Etat-Major impérial aura formé 27 Corps supplémentaires portant ainsi leur nombre à 73.
2 – LE RÔLE PRÉPONDÉRANT DES CHEMINS DE FER
– L’intégration des composantes technique et industrielle n’est pas nouvelle dans la pensée militaire allemande. Elle a été remarquablement mise au point et testée par Helmut von Moltke l’Ancien lors de la guerre contre la France. Depuis, la Kaisersheer a continué de développer ce point technique en dépit de la décentralisation des chemins de fer (chaque Land finance et développe son propre réseau). Du coup, cela va amener l’Etat impérial à centraliser progressivement les réseaux ferrés allemands afin d’aboutir à une uniformisation des moyens de construction. Déjà en 1880, von Moltke l’Ancien déclarait : « Il est hors de doute que l’incorporation des grands réseaux à l’Etat est un trait désirable en ce qui concerne les intérêts de l’Armée ».
– Jusqu’en 1885, Otto von Bismarck réussit à racheter presque tout l’ensemble des chemins de fer du Royaume de Prusse, faisant ainsi disparaître les grandes compagnies privées qui régnaient sans partage sur cette partie de l’Allemagne. Mais le Chancelier échoue à racheter les compagnies privées des autres Länder et il faut attendre 1909 pour voir l’Administration impériale acquérir le dernier grand réseau privé, celui du Palatinat… acheté alors par le Royaume de Bavière.
– Il n’empêche qu’en 1908, le IInd Reich dispose de 34 028 lignes de chemin de fer principales contre 23 316 km de lignes secondaires. Bien entendu, c’est l’Administration de l’Empereur qui fixe les normes de construction et l’agencement – avec la coopération de l’Armée – pendant que la Deutsches-Reichsbahn-Verband (l’Association des chemins de fer allemands) contribue puissamment à l’accroissement de l’usage militaire des voies ferrées. Les plans des transports et les directives d’aménagements ont été consignés dans le décret impérial du 18 janvier 1899.
– Enfin, le Grand Etat-Major impérial se dote d’une Reichsbahnes-Abteilung (Section des chemins de fer) et crée aussi des Bureaux de commandement des lignes et des gares qui interragissent avec l’administration civile des chemins de fer (Office Impérial des chemins de fer). La coopération est d’ailleurs très importante pour ce qui concerne l’horaire militaire lors de la mobilisation, l’établissement des plans de transports nombreux et complexes (hommes, équipements, canons, animaux, fourrage, ravitaillement) et la sécurité du trafic qui fait de grands progrès jusqu’en 1914.
– Du point de vue des chiffres, les résultats sont clairement impressionnant : en 1910, le Reich peut compter sur 533 810 wagons de marchandises, tandis qu’en 1913, 62 692 kilomètres de lignes ferrées sont disponibles sur l’ensemble du territoire. En comparaison, la France s’appuie sur 51 000 km (pays alors plus vaste que l’Allemagne), la Russie 61 861 (ce qui est disproportionné en comparaison du territoire) et l’Empire d’Autriche-Hongrie 45 452. Il es important aussi de bien noter que le massif de l’Eifel (ouest), pauvre en voies ferrées avant la guerre, a vu naître un important réseau sur son sol, tout simplement parce que cette région est située non loin du Land d’Elsass-Lothringen (Alsace et Lorraine) que les Français menacent directement avec les rives du Rhin et de la Moselle.
Enfin, un personnel pléthorique de 700 000 agents de gare et de voies ferrées permet à cette mécanique de fonctionner.
– Du point de vue des chiffres, il faut généralement 118 trains pour transporter un Corps d’Armée et 130 s’il compte un Bataillon d’Artillerie. La circulation de 118 trains implique un débit de 3 jours sur une ligne à 2 voies, soit 6 jours pour 2 Corps d’Armée. Ce qui faisait que le second ne pouvait être opérationnel en même temps que le premier déployé.
3 – CONCENTRATION DES FORCES EN AOÛT 1914
1 – Le 26 juillet, suite à la déclaration de mobilisation générale de la Serbie, le Grand Etat-Major déclenche les mesures préparatoires de concentration. Les permissionnaires sont rappelés dans la soirée et les troupes d’active ou de conscrits alors en exercice sont renvoyés dans leurs casernes et garnison.
2 – Le 27 s’opèrent les opérations locales de mobilisation, de réquisition des approvisionnements, ainsi que de l’envoi des troupes de couverture aux avant-postes des frontières belge, française et russe. Aussi, des barrages sont installés sur les routes frontalières et la censure télégraphique est mise en place. Les troupes de couverture sont aussi mises en alerte avant de recevoir leur ordre de marche vers les frontières de l’Empire.
3 – Le 28, les troupes de couverture sont acheminées vers leurs secteurs frontaliers prédéfinis pendant que les réservistes sont rappelés. On procède aussi à la réquisition de véhicules civils (automobiles et véhicules hippomobiles).
4 – Du 29 au 30 ; les ponts frontaliers sont gardés pendant, les voies ferrées situées non loin de la frontière française sont détruites et des patrouilles à cheval circulent le long de la frontière. D’autre part, un Conseil Suprême de guerre se réunit à Potsdam.
5 – Dans la nui du 31 juillet, Guillaume II décrète le Kriegsgefahrzustand (littéralement L’état de menace de guerre) conformément à l’Article 68 de la Constitution Impériale. Un décret similaire est pris pour le Royaume de Bavière.
Ainsi, l’Armée prend toutes les mesures qui s’imposent à la frontière pour les voies ferrées, la restriction du service postal, télégraphique et de la circulation ferroviaire au profit des troupes.
6 – 4 août, avec les déclarations de guerre adressées à Paris et Saint-Pétersbourg, l’Armée allemande achève sa mobilisation. Les transports de concentration de l’Armée d’Active s’achèvent pour les Corps de Couverture (VIII, XIV, XV, XVI et XXI) et pour les les VII, XI et XVIII. A l’est de Thionville et de Metz, on assiste à une concentration de 300 000 fantassins, artilleurs, cavaliers, soldats du Génie et autres.
6 – Le 15 août, les Allemands ont achevé leur concentration générale. Une Angriffs-Armee (Armée d’attaque) appelée sinon « Armée de la Meuse » et placée sous le commandement d’Otto von Emmich se masse non loin de Liège avant de se dédoubler en les I. et II. Armee commandées respectivement par Alexandre von Kluck et Bernhard von Bülow. Le gros de ses armées est composées de troupes aptes à la manœuvre capables de lancer une grande offensive rapide et brutale vers Paris en passant par la Belgique comme le stipule le Plan Schlieffen.
– Enfin, comme en France, ces différents Corps d’Armées s’amalgament pour former 7 Armées (Armeen) selon l’organisation qui suit :
* I. Armee : Alexandre von Kluck (Juliers-Bergheim)
– Chef d’état-major : H. von Kuhl
– II., III. et IV. Armee-Korps
– III. et IV. Reserve-Korps
* II. Armee : Bernhard von Bülow (Aix-la-Chapelle – Malmédy)
– Chef d’état-major : Otto von Lauenstein
– Gardes-Korps
– VII., IX. et X. Korps
– Gardes-Reserve-Korps
– VII. et X. Reserve-Korps
* III. Armee : Max Freiherr Hausen (Saint-Vith – Clervaux)
– Chef d’état-major : Ernst von Höppner
– XI. et XIX. Korps
– I. Kavallerie-Korps
– XII. Reserve-Korps
* IV. Armee : Albert Herzog (Duc) von Wurtemberg (Luxembourg – Trêves)
– Chef d’état-major : Walther von Lüttwitz
– VI., VIII. et XVIII. Korps
– IV. Kavallerie-Korps
– VIII. et XVIII. Reserve-Korps
* V. Armee : Kronprinz Friedrich-Wilhelm von Hohenzollern (Thioville – Metz)
– Chef d’état-major : Konstantin von Knobelsdorf
– V., XIII. et XVI. Korps
– V. et VI. Reserve-Korps
* VI. Armee : Kronprinz Ruprecht von Bayern (Saint-Avold – Sarrebourg)
– Chef d’état-major : Konrad Krafft von Dellmensingen
– I., II., et III. Bayerisches-Korps, XXI. Korps
– III. Kavallerie-Korps
– I. Bayerisches-Reserve-Korps
* VII. Armee : Josias von Heeringen (Strasbourg – Fribourg)
– Chef d’état-major : Karl von Hänisch
– XIV. et XV. Korps
– XIV. Reserve-Korps
* VIII. Armee : Maximilian von Prittwitz (Insterburg – Gumbinnen – Allenstein)
– Chef d’état-major : Georg von Waldersee
– I., XVII. et XX. Korps
– I. Reserve-Korps
– I. et II. Landwerhrs-Reserve-Korps
Lire :
– Chronologie de la Grande Guerre, site « JeRetiens ».
– HENIN Pierre-Yves : Le Plan Schlieffen, Economica
– La Mobilisation et la Concentration allemande, http://www.http://images.library.wisc.edu