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Chroniques de la Grande Guerre : Plan Schlieffen contre Plan XVII

A. LE MYTHE DE LA  « BATAILLE DÉCISIVE »

Après la Guerre de 1870, Helmuth von Moltke l’Ancien estime que le prochain conflit armé en Europe ne se livrerait plus qu’entre les seules grandes puissances européennes. Mais il était convaincu qu’il serait plutôt une Volkskrieg, soit une « Guerre de Peuples ». Aussi fallait-il tout faire pour éviter un vaste conflit européen. Or, ses successeurs – en premier lieu desquels son propre neveu Helmuth von Moltke le Jeune et Alfred von Schlieffen – souhaitant préserver l’appareil militaire du Reich ont préféré tout faire pour préserver la possibilité de gagner et de mener une grande guerre.
Il faut préciser que le modèle de bataille qui fait foi dans les différents états-majors d’Europe est la victoire d’Hannibal à Cannes en 262 av JC où le génial général carthaginois anéantit plusieurs légions par une manœuvre d’encerclement. Pour les stratèges militaires de l’époque, Cannes était LE modèle de bataille décisive qui devait régir la conduite des opérations.

Comme l’explique Jay Winter, lorsque elles déclarent successivement la guerre à la Serbie, la Russie, la France et à la Grande-Bretagne, les chancelleries de Berlin et de Vienne conservent l’illusion que leurs soldats seront rentrés dans leurs foyers avant Noël. Il en va de même pour Londres, Paris et Saint-Pétersbourg.

B. LE PLAN SCHLIEFFEN

S’ils ne possèdent pas les mêmes modes opératoires, les Plans Schlieffen et XVII se retrouvent dans l’idée de frapper les flancs ennemis par des offensives rapides et brutales. Mais à la mobilité de l’infanterie française appuyée par la cavalerie, les Allemands opposent la puissance du feu de leur Artillerie.

Alfred von Schlieffen

Alfred von Schlieffen

Tout d’abord, le Plan Schlieffen prend en compte la situation géopolitique du IInd Reich. En effet, depuis 1894, l’Allemagne est littéralement encastrée à l’est et à l’ouest par l’alliance franco-russe. Pour l’état-major allemand, la copie était alors à revoir. Alfred von Schlieffen conçoit alors une stratégie d’ensemble pour écraser rapidement l’Armée française, avant de retourner la Kaisersheer contre la Russie. Cela impose à l’Allemagne de mener une guerre courte, ce qui implique d’y mettre d’importants moyens, tant en effectifs humains qu’en matériel. La guerre doit être aussi courte, car l’Allemagne n’a pas de ressources coloniales mobilisables rapidement (les colonies d’Afrique – Togo, Namibie, Tanzanie et Nouvelle-Guinée – sont bien trop éloignées du continent pour que l’on puisse les mobiliser).

Von Schlieffen prévoit donc de contourner les lignes de défenses françaises établies face à la Moselle et à l’Alsace par le nord, c’est-à-dire en perçant le secteur Mézières-Dunkerque.

Pourquoi alors cet axe de progression ?

1 – Lancer les forces allemandes à travers le massif vosgien posera de sérieux problèmes logistiques et tactiques, d’autant plus que ce secteur boisé et vallonné est facilement défendable.
2 – Le secteur Verdun – Belfort (qui défend les hauteurs de Meuse) est protégé par une ligne de forts établie depuis 1871 par le Général Raymond Seré de Rivières. Schlieffen misant tout sur la mobilité, des forts français bien défendus peuvent briser net la progression allemande. D’autre part, les Français pourraient lancer une contre-attaque contre la Sarre qui renferme les complexes miniers vitaux à l’industrie de guerre du Reich.
3 – Le secteur qui permet un grand déploiement rapide d’infanterie et de cavalerie se situe entre la Mer du Nord et le massif ardennais.

Nous en arrivons donc à traiter du problème stratégique de la Belgique. Depuis 1851, la Belgique a obtenu une garantie diplomatique de la part des puissances européennes qui garantit sa neutralité. Pour des raisons évidentes, la Grande-Bretagne appuie la volonté du petit royaume de rester au-dehors des affaires de ses deux grands voisins. Or, en 1907, le Chancelier Theobald von Bethmann-Hollweg considère le traité de neutralité de la Belgique comme un simple « chiffon de papier » qu’il ne faudra pas utiliser à déchirer si les intérêts stratégique du Reich sont en jeu. C’est pourquoi l’état-major allemand prépare sans reculer une progression rapide à travers la Belgique.

Lorsque il parachève le Plan Schlieffen visant à envahir la France par un large mouvement tournant avant de se retourner contre l’Armée russe, Helmuth von Moltke le Jeune reprend l’idée d’anéantissement en y ajoutant la notion de « kurz Krieg » (« guerre courte »).
Celle-ci suit le schéma attaque brutale – progression rapide en territoire ennemi pour aboutir à une victoire intégrale en l’espace de quelques semaines. L’accent principal est mis sur la puissance de feu qui doit assommer et rompre le front ennemi.

Mais voilà, en voulant assurer la sécurité du flanc sud allemand (Rhin), von Moltke finit par courir deux lièvres à la fois, ce qui va mettre le Plan Schlieffen à mal. En effet, s’attendant à ce que les Français tentent une offensive sur les cours du Rhin et de la Moselle, Herlmuth von Moltke renforce le dispositif allemand sur la Moselle et le Rhin de deux armées. Or, ce sont des hommes qui vont manquer comme réserve opérationnelle lors de l’offensive par la Belgique. Une réserve dont l’absence se fera durement sentir sur la Marne.

3 – LE PLAN XVII

Élaboré après dix-sept révisions, le Plan XVII s’appuie sur la manœuvre de l’Infanterie « Reine des Batailles » mais aussi sur la cavalerie. Pour reprendre les mots du Colonel Michel Goya, les instances militaires de la IIIe République (État-major, Conseil Supérieur de la Guerre, Ecole de Guerre) se retrouvent, du point de vue intellectuel dans des « considérations tactico-mystiques » qui exaltent l’offensive à outrance. L’Armée Française compte donc elle aussi sur la manœuvre rapide. Le plan français vise à pénétrer au-delà du Rhin et de la Moselle par une forte poussée à partir des lignes de forts de l’Est établie par Seré de Rivières (ligne qui part de la frontière Suisse et s’étend jusqu’à à la frontière belge). L’objectif premier étant bien sûr de reprendre rapidement la Moselle, Metz, Strasbourg et Colmar principalement.

traarffgAu niveau de l’ensemble stratégique du Front européen, le Plan XVII inclut les plans de mobilisation et de bataille de l’Armée russe. L’état-major français pense qu’étant donné le rapport disproportionné des infrastructures russes face à l’étendue géographique du territoire, les forces de Nicolas II seront disponibles plus tardivement. Les Français estiment que l’offensive française devra fixer un nombre maximum de forces allemandes à l’Ouest pour laisser les Russes entrer plus facilement en Prusse-Orientale. Or, en août 1914, à la grande surprise générale, les Russes mobiliseront leurs unités (active et réserve) bien plus vite que prévu.

Ainsi, l’objectif des deux alliés est de forcer Guillaume II à abandonner la partie par une offensive conjointe en Prusse Orientale et sur le Rhin. A ce titre, le plan de mobilisation français doit s’appliquer dans la foulée de celui des Russes.
Reprenant à son compte les préconisations du Général Louis Loyzeau de Grand Maison, l’état-major que pilotent Joseph Joffre et son entourage, fonde ses chances de succès sur « l’offensive à outrance ». Le Général Ferdinand Foch en étant alors l’un des principaux défenseurs. Or, Grandmaison prône que l’ensemble des Corps d’Infanterie attaque LORSQUE CELA EST POSSIBLE OU RENDU POSSIBLE.
Mais l’idée de l’engagement immédiat ne fait pas l’unanimité au sein du commandement français. L’un des concepteurs du plan, Edouard de Curières de Castelnau (le général qui planifiera en grande partie la mobilisation française) estime que cela ne pourra permettre à l’Armée de remporter une victoire rapide en raison du manque de réserve.
Reprenons une fois de plus les propos du Colonel Goya. Celui-ci explique que la doctrine militaire française est pratiquement aux mains de Saint-Cyriens (mais aussi en partie de polytechniciens comme Joffre et Foch), fantassins et cavaliers. Or, « il est frappant de voir que les mots ‘aéroplane’, ‘automobile’ et même ‘mitrailleuse’ sont absents des productions littéraires entre 1890 et 1914 ». A l’inverse, les militaires allemands ont très vite compris l’intérêt de la mitrailleuse, tant dans son rôle défensif que dans le soutien à l’infanterie.

Comme le dit l’historien britannique Lancelot Farrar, la préparation de la Grande Guerre a été pensée dans « l’illusion d’une guerre courte » (« short war illusion »). Chaque stratégie avait été pensée pour une guerre courte, sauf que le choc de 1914 va mettre fin aux espérances de chaque état-major et de chaque gouvernement qui seront forcés de s’adapter.

Lire :

– WINTER Jay (Dir.) : La Première Guerre mondiale, combats, Fayard, Paris
– DELHEZ Jean-Claude : La bataille des frontières, Economica, Paris
– LANGERDORF Jean-Jacques : La pensée militaire prussienne. Etudes de Frédéric le Grand à Schlieffen, Economica, Paris
– GOYA Col. Michel : La chair et l’acier, Tallandier, Paris