Ayant combattu en France et en Belgique, le fantassin britannique ou du Commonwealth reste toutefois assez peu connu lui aussi. Voici un essai de descriptions.
1 – SOLDATS ET OFFICIERS
Comme l’explique William Philpott, par tradition politique, l’armée britannique de 1914 ne connaît pas la conscription. Abstraction faite de l’Armée des Indes (India Army), elle est formée par les 100 000 hommes de la Regular Army (unités régulières professionnelles) auxquels s’ajoutent ceux de la Territorial Army (Réserve). En 1914, c’est Lord Horatio Herbert Kitchener qui se trouve Ministre de la Guerre du Gouvernement Liberal d’Asquith. Ancien volontaire dans l’Armée française en 1870, Kitchener reste surtout connu comme le vainqueur des Mahdistes à Omdourman et le créateur des premiers camps de concentration en Afrique du Sud.
– Lorsque la Grande-Bretagne déclare la guerre à Berlin et à Vienne, Kitchener recrute les nouveaux Tommys sur la base du volontariat. Ses jeunes engagés enthousiastes n’ont aucune expérience des combats, hormis ceux qui avaient pu connaître l’expérience du feu au Soudan ou en Afrique du Sud. Souvent, ceux-ci seront promus sous-officiers et on leur donnera la tâche d’instruire les recrues, souvent dans la précipitation. Il n’empêche que les sous-officiers britanniques (Sergents, Sergent-Majors et Warant Officiers) issus de la Regular ou de la Territorial, fourniront un encadrement de qualité.
– Les hommes du rang de la Regular sont des engagés volontaires. Ils sont souvent issus de milieux populaires des grandes villes industrielles ou des petites villes de campagne. Souvent plus âgés que les jeunes engagés de la Kitchener’s Army, ils sont plutôt disciplinés et bien formés. Une grande partie s’est engagée pour servir l’Angleterre mais aussi pour la solde et pour sortir des quartiers industriels dans lesquels ils ont grandi. Les sous-officiers sont souvent issus du même milieu, de familles d’ouvriers qualifiés (skilled workers) ou de la petite classe moyenne (commerçants, instituteurs, secrétaires…) et leur niveau d’instruction est correct. Comme l’a montré l’historien George L. Mosse dans ses travaux sur la « brutalisation » des sociétés européennes durant la Grande Guerre, les jeunes engagés britanniques sont issus de milieux assez favorisés ; Middle Class des villes et des campagnes de la Sweet Anglia, petite et moyenne bourgeoisie, même si l’on trouve une honorable proportion de Skilled workers. Le milieu politique dans lequel ils ont été éduqués est en majorité conservateur (Torry) ou Libéral (Liberal). Et pour reprendre les mots de Bernard Cotret, c’est toute une classe et une génération qui a été bercée par la grandeur de l’Empire britannique alors à son apogée. On leur a donc inculqué la conscience de défendre la civilisation britannique.
Placés sous la férule d’un sous-officier instructeur, les jeunes engagés suent sang et eau dans des exercices physiques à côté de l’instruction au maniement des armes.
L’Armée Britannique compte néanmoins de très beaux Regiments, notamment les Border ou le Lincolnshire Regiment qui s’est particulièrement distingués en Inde ou au Soudan. Mais ce sont les Guards (Coldstream, Grenadiers, Scots, Welch et Irish) qui sont réputés être les meilleures unités à pied royales, pétries de traditions presque tricentenaires comme les Coldstream, Scots et Grenadiers Guards. Les officiers sont pratiquement tous issus de la noblesse et de l’aristocratie britannique et sortis des très prestigieux et très sélectifs Colleges du Royaume (Eton, Aldershot…). Les benjamins de ce corps prestigieux étant les Irish Guards puisqu’ils ont été levés en 1901 sur ordre spécial de la Reine Victoria en raison de la bravoure d’engagés irlandais (Ulster et Eire confondus) lors de la bataille du Cap contre les Boers. Les Irish Guards sont notamment la seule unité prestigieuse à ouvrir le recrutement aux Catholiques irlandais (soldats et officiers) aux côtés des Anglicans et Presbytériens d’Ulster. Le fils de Rudyard Kipling, Jack, servira au sein de ce Regiment.
Par tradition, le Corps des officiers de Sa Majesté George V est beaucoup plus hétérogène. On compte certes une part de Lieutenants ou de Captains (Regular et Territorial) confondus qui sont des sous-officiers montés en grade pour leur bonne conduite dans les guerres coloniales en Afrique. Mais les officiers de 1914 sont en très grande partie issus de la Gentry (noblesse terrienne), de l’Aristocratie et de la Haute-bourgeoisie financière, industrielle et banquière. C’est donc ces trois milieux qui peuplent les classes de la prestigieuse Académie de Sandhurst. Toutefois, on peut voir des personnalités issues de la Middle Class entrer à Sandhurst ou être engagés comme officiers grâce à leurs qualités et à leurs compétences professionnelles. C’est notamment le cas de John Frederick Fuller, l’un des pères de l’Armée blindée britannique.
4 – RECRUTEMENT
* Royaume-Uni
En ce qui concerne le recrutement, l’Armée de George V ressemble assez bien à celle de son cousin Guillaume II. Les Regiments sont levés par Comté (Shire) par amalgame des effectifs recrutés dans les villes moyennes et petites. Cette méthode de recrutement volontairement localisée donne ainsi naissance aux « Pals » ou « Chums Battalions » ; littéralement les « Bataillons d’amis ». On pense qu’un soldat engagé avec ses amis bien mieux intégré à une unité de combat et fera montre de meilleures qualités au feu.
Pour une grande ville comme Londres, on recrute par quartiers. Chaque jeune engagé rejoint donc son Regiment (unité administrative héritée du XVIIe siècle) avant d’être rattachée à un Battalion (unité tactique de combat). La majorité des Regiment porte le nom du Comté ou de la Ville (Lincoln, Bedford, Durham, Dorsetshire, Devonshire, Suffolk, Lancashire, London, Connaught…) où il a été formé. Exceptions faires pour les King’s Own ou Queen’s Regiments, comme pour certains Regiments écossais, irlandais et gallois qui portent les appellations « Scots », « Scottish », « Irish » et « Welch ». D’autres enfin portent le nom de leur fondateur historique, tels les Duke of Wellington’s et Duke of Cornwall’s.
Les volontaires de 1914 intègrent en majorité les Line Regiments, c’est-à-dire les unités de combats d’infanterie légère. D’autres rejoindront les tout nouveaux Machine Gun Battalions concentrant plusieurs compagnies de mitrailleurs qui seront répartis ensuite au sein d’une division. Les Guards ne lèveront aucun nouveau Battalions et recruteront sur des critères précis.
** Commonwealth et colonies
Au déclenchement de la Guerre, les gouvernements des Dominions (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande…) veulent montrer leur allégeance à la Couronne en décrétant la levée de volontaires pour combattre en Europe. Si les Australiens et les Néo-Zélandais n’arriveront qu’en 1916, les Canadiens arriveront en Artois, en Flandres et en Picardie dès la fin 1914. Si les Dominions disposent de petits pendants de la Regular Army britannique, le recrutement des volontaires se fait selon le même mode qu’au Royaume-Uni. Les motivations sont assez diverses, notamment en Australie : loyauté, goût pour l’aventure, solde….
Concernant l’Inde, son statut de Colonie et la méthode de gouvernement de Londres demandent une méthode de recrutement différent. Si l’India Army comptant une forte proportion de soldats de Métropole est immédiatement mobilisée, le commandement des Indes y associe des Regiments indigènes recrutés dans les ethnies du sous-continent considérées comme guerrières, bien souvent selon des clichés « raciaux » mais aussi par volonté de diviser les potentats locaux. Les Britanniques mobilisent ou lèvent alors des Regiments et Battalions de Sikhs, Rajpoutes, Gourkhas et Jats.
3 – L’UNIFORME ET ÉQUIPEMENT INDIVIDUEL
S’il n’a pas une formation tactique aussi poussée que son adversaire allemand, le fantassin britannique est pour autant plutôt bien équipé. Les enseignements de la Guerre de Boer ayant porté leur fruit, la Kitchener’s Army a adopté l’uniforme kaki en feutre, très discret en campagne. Le Tommy est vêtu, d’une chemise en coton comme d’une Battledress composée d’abord d’une tunique longue à col fermé, serrée par un ceinturon de cuir et fermée par des boutons en laiton frappés des insignes de son Regiment. La Battledress est complétée par un pantalon (Trouser) resserré aux jambes par des bandes molletières en laine. Les officiers portent quant à eux une tunique à col croisé pour laisser apparaître les insignes de leur Regiment ou de leur arme, ainsi que leur cravate, marque de distinction. La Battledress des officiers est aussi fermée par le ceinturon mais aussi par un baudrier en cuir. Pour tous, les chaussures utilisées sont en fait des brodequins de cuir aux semelles cloutés. Contrairement aux Allemands et comme les Français, les sous-officiers et officiers portent leur insignes de grades sur des pattes d’épaules. Les sous-officiers arborent aussi leurs chevrons distinctifs cousus sur les manches. Les insignes de divisions et les marques de brigades seront cousus sur la manche droite.
Les soldats écossais, très imprégnés de leurs traditions, peuvent parfois porter le Kilt. En matière de coiffe, ils portent soit un large béret arborant le Tartan du clan et l’insigne du Regiment, soit le Glengarry, sorte de calot arborant insignes et couleurs du Regiment (souvent porté par les officiers).
Pour coiffure, les soldats britanniques portent d’abord une casquette (Cap) arborant le Cap badge (insigne) du Regiment. Mais dès le début de 1915, le fameux casque plat « Brodie » fera son apparition. S’il n’est pas le plus protecteur, il a une signification historique précise. En effet, il est fortement inspiré du casque des archers anglais de l’Epoque médiévale. Enfin, pour le mauvais temps et le froid, les soldats britanniques portent une longue capote en feutre.
Pour les forces des Commonwealth (Canada, Australie, Inde, Nouvelle-Zélande), l’uniforme varie assez peu, seulement au niveau de la coiffure. Les fantassins canadiens ressemblent en tout point aux Britanniques ou même aux Ecossais pour certains Regiments. Les soldats Australiens et Néo-Zélandais arborent des chapeaux en feutre à larges bords protégeant du soleil et de la pluie, comme le Tin Hat ou Army Sloutch hat australien. Quant aux Indiens, qu’ils soient Sikhs, Jats ou Gurkhas, ils arborent leurs coiffures traditionnels (turban pour les Sikhs par exemple).
Pour l’équipement individuel, rien de bien variable avec ses homologues français ou allemands (havresac, couverture, effets personnels, gourde, cartouchières, etc.). Toutefois, les Britanniques apprécient de porter leur cartouchière en bandoulière et non au ceinturon, ce qui n’est toutefois pas sans quelques risques.
Si elle n’a pas le niveau technique et tactique de son adversaire germanique, l’Infanterie britannique et du Commonwealth est toutefois bien armée et bien équipée. En matière d’armement individuel les soldats et sous-officiers sont armés du très bon fusil Short Magazine Lee Enfield (SMLE) Mark III Mle 1907 de calibre 0.303 (7,7 mm), conçu par l’Arsenal royal d’Enfield pour remplacer le Lee Metford. D’un poids équivalent au Mauser allemand (4 kg), doté d’un système de verrouillage rotatif, c’est un fusil robuste et facile d’emploi à la portée pratique de 1,83 km. Un très bon tireur peut tuer ou blesser un ennemi à 500 m.
Les officiers britanniques sont quant à eux armés du revolver d’ordonnance Webley Mark III, IV ou V Calibre 38. Contrairement à leurs homologues français, ils sont armés du sabre seulement à la parade.
Du côté des mitrailleuses, les Britanniques répliquent à la Maxim allemande avec la Vickers Mark I ou II calibre .303 (7,7 mm). D’un poids de 31 kg, elle reprend en grande partie les mécanismes de recul, d’approvisionnement ou de refroidissement par eau du modèle allemand (voir article sur les fantassins allemands).
Mais la robuste Vickers reste une arme à but défensif. Toutefois, comprenant l’intérêt des mitrailleuses légères portatives pour appuyer l’infanterie, l’infanterie britannique commence à doter certains Battalions de la mitrailleuse légère Lewis Gun Mark I .303. Très populaire car pouvant être utilisée partout, elle sera plus largement diffusée dès 1915.
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