Général réputé (à juste titre) dur, associé longtemps au sang du Chemin des Dames et à la création de la « Force Noire », Charles Mangin est aussi – et on l’oublie – l’un des grands artisans de la Seconde victoire de la Marne, celle de l’été 1918.
– Fils de Ferdinand Mangin, Ingénieur des Eaux et Forêts lorrain, Charles Emmanuel Marie Mangin voit le jour le 6 juillet 1866 à Sarrebourg. Lorsque la Prusse remporte la guerre de 1870, la famille Mangin choisit la France et le tout jeune Charles voit ses parents arrêtés et jugés par les autorités prussiennes. Finalement, Ferdinand Mangin achèvera sa carrière comme Conservateur des Eaux et Forêts en Algérie. Charles a trois frères ; deux d’entre eux choisissent la carrière des armes : Henri (officier tué au Tonkin) et Georges (officier de la Coloniale tué en Mauritanie). Le troisième, le puiné, choisit la carrière ecclésiastique et entrera chez les Pères Blancs avant de faire son devoir en France en 1914-1918.
– Après ses études secondaires, Charles Mangin entre très jeune à Saint-Cyr et en sort en 1884 dans la Promotion « des Pavillons noirs ». Comme ses frères aînés, il choisit la carrière coloniale et débarque au Sénégal en la même que sa sortie de l’Ecole. Il y reste pendant longtemps, ce qui lui permet de bien connaître le Corps des Tirailleurs Sénégalais. Sous les ordres du Colonel Archinard, le jeune officier participe à la prise de Diena et aux combats contre les « Talebs » et les marchands d’esclaves du Soudan Français. Blessé deux fois et décoré, il accède au grade de Capitaine. Archinard dresse son éloge en le décrivant comme un « officier plein de valeur et de sang-froid, brave comme un troupier… »
– Il faut bien souligner que Mangin fait alors partie d’une génération d’officiers français issus non pas des états-majors ou des armes techniques, mais de l’Infanterie Coloniale, d’où une approche différente du combat et des opérations que celle des cercles de l’Ecole de Guerre. Mangin fait partie de la même génération que d’autres grands généraux français de la Grande Guerre ; Henri Gouraud, Georges Humbert et Jean-Marie Degoutte. Mangin a aussi comme trait de caractère de commander de l’avant et de s’exposer régulièrement.
– En 1897, le Capitaine Mangin participe à l’expédition Marchand qui doit traverser tout le Sahara, franchir le Nil et arriver à Djibouti. C’est lui qui arrive le premier au poste de Fachoda pour établir un poste de résistance contre les Derviches. Mais l’arrivée des Britanniques de Lord Kitchener forces les Français à évacuer le poste pour gagner Djibouti. Mangin connaît aussi le retour triomphal en France.
Elève à l’Ecole de Guerre, breveté d’Etat-major et promu Commandant, Mangin part pour le Tonkin, là où son frère Henri est tombé et y fait montre d’une bonne capacité d’organisation.
De retour en France en 1906, le Commandant Mangin s’emploie à créer la fameuse « Force Noire », c’est-à-dire un corps spécialement composé des « races guerrières » d’Afrique Noire française (selon le terme employé à l’époque selon les représentations culturelles). C’est ainsi, que son levés plusieurs régiments de Tirailleurs Sénégalais qui seront mobilisés en 1914. Notons aussi, qu’il prend à son service un Sénégalais nommé Baba Koulibaly qui lui restera fidèle jusqu’à la fin de sa vie.
En 1912, promu Colonel, Mangin part pour le Maroc sous les ordres d’Hubert Lyautey. Il participe aux opérations de pacification du Protectorat et notamment à la bataille de Sidi Bou Othmane le 6 septembre, où il se distingue particulièrement et à la charge sur Marrakech
– Promu Général de Brigade en juillet 1913, Mangin prend le commandement de la 8e Brigade lorsque éclate la Grande Guerre. Il faut noter qu’en dépit de sa dureté, il n’est pas favorable pour des raisons tactiques à « l’Offensive à outrance » dans son application d’alors. Engagé dans la Bataille des Frontières, Mangin affronte les Saxons dans la région de Dinan et sur la Meuse et se distingue près d’Onhaye. Dans la panique des combats, Mangin prône la dureté à l’égard des soldats et pour éviter inciter les hommes à ne pas déserter, il va jusqu’à prôner la décimation à la romaine.
Néanmoins, il remplace le Général Verrier à la tête de la 5e Division d’Infanterie formée de Normands et participe à la bataille de la Marne dans le secteur d’Escadres. Ses Colonels commandant les 39e et 74e RI tombent blessés pendant que lui-même fait le coup de feu.
– Mangin commande toujours la 5e Division à Verdun et le 22 mai 1916, il reçoit de Nivelle (qui a remplacé Pétain en avril) l’ordre de reconquérir le Fort de Douaumont tombé aux mains des Allemands dans les premiers jours de la bataille. Malgré un matraquage d’artillerie sur le fort, les hommes de Mangin ne peuvent s’emparer de l’édifice trop bien défendu. 5 000 hommes sont perdus par sa division en trois jours. Mais Nivelle apprécie Mangin pour son allant et sa conduite des fantassins. Il le promeut alors pour commander à la contre-offensive d’octobre 1916. Mangin déclenche alors l’offensive le 24 octobre, permettant de dégager définitivement le Fort de Souville comme de reprendre Douaumont et Vaux. Il a alors toute la confiance de Nivelle et l’estime du Gouvernement Ribot.
– Au début 1917, Nivelle devenu Commandant en chef des Armées Françaises nomme Mangin à la tête de la VIe Armée qui doit participer à l’offensive décisive sur le front de l’Aisne. Mangin reçoit l’ordre de percer le front du Chemin des Dames et sur le Plateau de Craonne par une poussée vers le nord. Malgré une préparation minutieuse et le rassemblement d’une artillerie considérable, l’offensive de Mangin échoue contre les défenses allemandes, particulièrement bien établies. L’offensive du Chemin des Dames échoue dans le sang et Mangin devient la proie d’une campagne de presse qui le présente comme un boucher. Il devient aussi l’objet d’un affrontement politique entre Alexandre Ribot et Aristide Briand. Le 2 mai 1917, il est relevé de son commandement et se retire à Juvisy chez sa belle-sœur. On va même jusqu’à lui ordonner de quitter l’Île-de-France mais Clémenceau intervient en sa faveur. Finalement, une commission d’enquête conduite par les Généraux Brugère, Foch et Gouraud. Blanchi, on l’autorise à retourner au front et Mangin prend le commandant du IXe Corps d’Armée en décembre 1917.
– En juin 1918, Mangin remplace le Général Paul Maistre à la tête de la Xe Armée dans le secteur de Compiègne face à la XVIII. Armee d’Oskar von Hutier. Le 11 juin, il mène habilement une contre-attaque dans le flanc de von Hutier avec des fantassins, des Chasseurs à Pied, des Zouaves et des Chars Renault et force les Allemands à abandonner onze kilomètres. Dans les jours qui suivent, Mangin reprend l’offensive et reprend Belloy et Saint-Maur, enrayant définitivement l’offensive allemande sur cette partie du front.
– En juillet, placé sous le commandement de Pétain avec la VIe Armée de Degoutte, Mangin participe victorieusement à la contre-attaque sur la Marne qui repousse la VII. Armee de Max von Böhn. Sa pratique du feu roulant d’artillerie a payé. Le 18 juillet, ses troupes font leur entrée dans Villers-Cotterêts. Sauf que les offensives de Mangin s’attirent les acerbes critiques du Général Edmond Buat, alors Aide-Major Général auprès de Pétain. Buat pointe le caractère fonceur de Mangin et dénonce sa propension à vouloir agir indépendamment des ordres reçus de Chantilly… et de demander des renforts au détriment de la VIe Armée du Général Degoutte (qui agit sur le flanc droit de la Xe Armée sur la Marne et l’Aisne), voire au détriment d’autres points du front (1).
Enfin, le 20 août, la Xe Armée française repousse les Allemands sur l’Oise et l’Ailette. En novembre 1918, Mangin s’apprête à lancer une offensive pour libérer Metz met la capitulation allemande vient mettre fin au projet.
– A la toute fin 1918, arrivé sur le Rhin à Mayence, Mangin déclare à ses hommes : « Sur la rive gauche du Rhin, vous vous souviendrez que les armées de la République, à l’aurore des grandes guerres de la Révolution, se comportèrent de telle sorte que les populations rhénanes ont voté par acclamation leur incorporation à la France. Et les pères de ceux que vous allez rencontrer ont combattu côte à côte avec les nôtres sur tous les champs de bataille de l’Europe pendant vingt-trois ans. Soyez dignes de vos pères, songez à vos enfants pour préparer l’avenir. Point de tache aux lauriers de la Xe Armée, tel doit être le mot de tous. »
Occupant Mayence, il s’installe à la Deutschhaus et encourage même les autonomistes rhénans mais les Américains et les Britanniques refusent le projet dans le but de ne pas morceler l’Allemagne. L’attitude de Mangin fait là encore l’objet d’appréciations critiques de la part d’Edmond Buat, ce dernier estimant que Mangin fait montre de trop d’empressement sans vision stratégique à long terme.
– De 1920 à 1925, le Général Mangin est membre du Conseil Supérieur de la Guerre (avec Foch, Pétain, Joffre, Buat, Fayolle, Gouraud et Maistre) et consacre son temps à l’écriture. Mais il s’éteint le 12 mai 1925 à Paris. Ce chef dur mais particulièrement courageux et compétent est inhumé aux Invalides en présence de ses aînés et supérieurs ; Pétain, Fayolle et Foch. Il était Chevalier et Officier et de la Légion d’Honneur, officier de la Grand Croix de la Légion d’Honneur et récipiendaire de la Croix de Guerre comme de la Médaille Militaire.
Il s’était marié deux fois, d’abord avec Mademoiselle Jagerschmidt puis avec Antoinette Charlotte Cavaignac, petite fille d’Eugène Cavaignac. Ils eurent huit enfants dont Stanislas Mangin qui s’illustrera durant la Seconde Guerre mondiale dans la Résistance de l’Armée.
(1) BUAT, Edmond : « Journal », Perrin
Sources :
– LOPEZ Jean (Dir) : 1918 France 3 – Allemagne 0, in Guerres & Histoire, N°5
– BUAT Général Edmond : « Journal », présenté par G-H. Soutou et Fr. Guelton, Perrin, Ministère de la Défense
– INGOLD Général François, J’ai connu Mangin, http://www.http://www.hervedavid.fr
– http://www.chtimiste.blog.