La mort de Louis XVI ou « la plus formidable opération d’amnésie collective de notre histoire »
Nous relayons un article paru récemment sur le site http://www.ndf.fr/, signé Gabriel Privat, jeune historien français.
« Le 21 janvier 1793 au petit matin mourait le roi Louis XVI, guillotiné à Paris. Depuis, nous n’avons pas cessé de parler de cette mort. Pour Balzac, « le jour où on a coupé la tête du roi, on a coupé la tête de tous les pères de familles. » Pour Raymond Poincaré, la mort de Louis XVI fut « un suicide collectif ».
Cette mort marque surtout d’une empreinte de sang la plus formidable opération d’amnésie collective de notre histoire. En tuant le roi, les conventionnels rejetaient tout le passé qui était lié à sa personne. Ils condamnaient la France antérieure à 1793 à l’oubli, créant une nouvelle France, au calendrier marqué de l’an I de la République. Avec cette mort, la révolution devenait un bloc. On était pour ou contre cette mort. Il n’était plus possible d’être royaliste, monarchien, libéral, partisan de la régence de Philippe-Egalité, fédéraliste, girondin, jacobin. On était simplement favorable ou hostile à la mort du roi, et tous ceux qui se montrèrent hostiles furent rejetés, d’une manière ou d’une autre, dans le camp de la contre-révolution, c’est-à-dire celui voué à l’oubli collectif.
Le temps passa, apaisa en apparence cette terrible blessure. A la Restauration, on retrouva le corps de Louis XVI, dans une fosse commune, où il avait été placé pour être oublié. Louis XVIII lui fit donner des funérailles dignes d’un roi, et sa tombe, en la basilique de Saint-Denis, marque le souvenir des rois à elle seule. Dès 1814, l’habitude fut prise, dans toute la France, le 21 janvier, de faire dire des messes pour le repos de l’âme de Louis XVI. Ce sont, depuis, des milliers et des milliers de messes qui ont été dites pour le repos de l’âme d’un homme certainement au Ciel désormais, et intercesseur pour son peuple et sa patrie.
Mais est-il encore utile, aujourd’hui, de se souvenir d’une mort vieille de plus de deux siècles, dans un pays où la république semble faire la presque unanimité ? Après tout, si on se souvient de la guerre de Cent ans, des guerres de religion ou de la Fronde, on ne place plus aucune passion dans l’évocation de ces événements pourtant autrement plus douloureux pour la patrie que la mort d’un seul homme, fût-il roi. Pourquoi lui, alors ? Cette question, à vrai dire, pose un faux problème. La question n’est pas celle de l’utilité, mais de la signification de cette célébration. Que signifie pour quelques milliers de Français de continuer de se souvenir, chaque année, de la mort d’un roi et de faire dire à son attention une messe ou de déposer place de la Concorde une gerbe de fleurs ? Il s’agit, pour la plupart, de se souvenir que l’histoire de France n’a pas commencé en 1789, qu’elle plonge ses racines dans un passé plurimillénaire, dont le roi était le représentant, en incarnant la dynastie, histoire familiale de la France. Il s’agit de s’unir à la mémoire de cette vieille France et d’en faire un socle d’espérance pour le présent. »
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