Napoléon III ; empereur mal aimé et méconnu – Troisième partie
4 – LA CHUTE D’UN EMPIRE SOLIDE A L’INTERIEUR
C’est tout le paradoxe du Second Empire. En 1869, malgré les menaces de guerre, le pouvoir impérial bénéficie encore d’une assise populaire considérable, d’autant plus que Napoléon III a lancé une série de réformes politiques et sociales qui orientent le régime vers un plus grand libéralisme.
1 – L’Empire Libéral
– Avec la défection des catholiques et des milieux de droite au sujet de la question Romaine, l’Empereur va donc chercher des alliés au centre et sur sa gauche. Comme nous l’avons vu pour les ouvriers, Napoléon III desserre l’étau en ce qui concerne le droit d’association et de réunion, comme la censure de la presse. Mais gardons à l’esprit que l’Empereur peur aussi se permettre de faire des concessions car son règne est alors brillant car marqué par le développement économique et un prestige certain en Europe.
– Du point de vue politique, le décret du 2 novembre 1860 confirmé par Sénatus-consultes (2-3 février 1861) modifie la Constitution de 1852 dans un sens moins autoritaire. Ainsi, le Sénat et l’Assemblée recouvrent leur droit d’Adresse au Ministre.
Les élections du 31 mai 1863 voient donc une évolution. Si les candidats officiels conservent la majorité à l’Assemblée, ils perdent néanmoins des sièges au profit de candidats Républicains. Une nouvelle coalition se forme au centre avec des Républicains modérés ralliés à l’Empire et les Bonapartistes Libéraux (le « Tiers Parti »). Républicains avancés, Socialistes, Bonapartistes autoritaires, Monarchistes des deux obédiences et Catholiques forment les deux ailes de l’opposition.
– Après un remaniement ministériel où Napoléon III appelle à lui des réformistes comme Victor Duruy (Instruction publique), Louis Behic (Agriculture Commerce et Travaux Publics) et Paul Boudet (Intérieur). En 1867, l’Empereur fait passer des « réformes utiles » en faveur de la liberté de la presse et des réunions électorales.
En 1869, ne nouvelles élections législatives ont lieu. Si les Républicains restent dans l’opposition, ils sont toutefois consolidés de plus de 3,3 millions de voix contre 4,6 millions aux candidats bonapartistes. Napoléon appelle nomme Emile Ollivier Premier Ministre. En plus de prendre le portefeuille de la Justice, Ollivier appelle des hommes nouveaux tels Félix Parieu (Présidence du Conseil d’Etat), Charles Louvet (Agriculture et Commerce), Napoléon Daru (Affaires érangères), Rigault de Genouilly (Colonies – premier ministère de ce type) et Eugène Valdrome (Intérieur).
La même année, Ollivier soumet à l’Empereur un projet de plébiscite qui serait soumis au peuple afin de proposer un régime semi-parlementaire qui verra l’abandon du système des candidatures officielles. Les Républicains et les Monarchistes appellent à voter « non » mais l’habile manœuvre de Napoléon III et de son Premier Ministre porte ses fruits puisque plus de 7 millions de Français approuvent le projet de loi. L’Empereur se serait écrié avec satisfaction : « J’ai mon chiffre ». Dans l’autre camp, le député Léon Gambetta lâche amer : « Il n’y a plus rien à faire en politique ! ».
2 – La Guerre franco-prussienne
– Sans trop entrer dans les détails, voyons comment Napoléon III en est venu à devoir déclarer la guerre à la Prusse, alors qu’il ne le voulait pas. En 1866, le Royaume de Prusse de Guillaume Ier sort vainqueur de la guerre contre l’Autriche-Hongrie lors de la bataille de Sadowa. Grâce à l’énergique chancelier Otto von Bismarck, les anciens États nés de la fragmentation de la Confédération du Rhin s’unissent à Berlin, ainsi que la Bavière. S’il regarde ses évènements en spectateur, Napoléon III s’inquiète. Pour gagner du temps, il tente de se concilier avec Bismarck (entrevue de Biarritz en 1865) par la maladroite « politique des pourboires ». Souhaitant maintenir un équilibre entre puissance des deux côtés du Rhin, l’Empereur émet l’idée de reconnaître l’unité allemande par Berlin contre une possible annexion de la Belgique et du Grand-Duché de Luxembourg. L’Empereur peut espérer une issue en cette faveur car Guillaume III de Hollande Souverain du Luxembourg accepte une compensation financière de 5 millions de florins. Mais la manœuvre s’avère un marché de dupes puisque l’annexion du Luxembourg est subordonné à l’accord France-Prusse et non contractée de façon bilatérale en France et Pays-Bas. Pis encore, de façon aussi rusée que retorse, Bismarck fait connaître l’accord en question en sachant pertinemment que l’opinion allemande ne saurait l’accepter. Le chancelier gagne son pari et l’annonce des accords secrets provoque une levée de boucliers de l’opinion allemande devenue particulièrement belliciste. L’opinion française répond de la même manière, ce qui force l’empereur à décréter la mobilisation. Toutefois, la Grande-Bretagne présente sa médiation. La Crise du Luxembourg est résolue grâce au Second Traité de Londres (1867) qui entérine la neutralité du Grand-Duché.
La maladresse diplomatique française provoque l’isolement de Paris car l’Autriche ne digère pas l’abandon de Maximilien au Mexique, la Russie garde rancune du soutien français à la révolte polonaise à Varsovie et le Parlement britannique voit d’un mauvais œil les ambitions territoriales de l’allié français.
– Les tensions avec la Prusse conduisent Napoléon III à lancer en toute urgence un programme de réforme de l’Armée française. Comme le dit Jean Tulard en dépit des succès en Crimée ou en Cochinchine, les soldats impériaux ont montré « davantage de bravoure que d’efficacité », en particulier au Mexique. Napoléon III remplace le Maréchal Randon par l’énergique Maréchal Adolphe Niel. Sur deux ans, Niel accélère le programme de modernisation de l’armement (très bon fusil Chassepot, prototypes de mitrailleuses). Adolphe Niel fait aussi voter une loi à l’Assemblée obligeant les hommes non exonérés à incorporer les Gardes mobiles (sauf les ouvriers spécialisés dans l’armement). Malheureusement, en dépit de son énergie, Niel rencontre une violente opposition des parlementaires et de l’opinion publique. Un de ses collègues lui lance un jour : « Monsieur le Maréchal, vous voulez faire de la France une caserne ! » Niel lui répond : « Vous ne voulez pas en faire une caserne, prenez-garde de ne pas en faire un cimetière ! ».
Malheureusement, Niel meurt subitement en 1869 de la maladie de la pierre. Il est remplacé par le Général Edmond Le Bœuf.
– Les tensions entre la France et la Prusse s’aggravent encore en 1870 en raison de la crise de succession d’Espagne. Le trône du vieux royaume est vacant depuis le coup d’Etat du Général Prim y Prats en 1868. Berlin propose alors un candidat, Léopold von Hohenzollern-Sigmarigen. Paris s’alarme alors de cette candidature car elle craint un encerclement de ses frontières à l’est et au sud. Napoléon III décide alors de négocier avec Guillaume Ier. L’entrevue entre l’ambassadeur de France Benedetti et le Roi de Prusse à lieu à Ems. Les négociations sont fermes mais cordiales. Léopold annonce même qu’il va retirer sa candidature. Benedetti attend la réponse de Guillaume Ier qui arrive le 13 juillet sous la forme de la fameuse dépêche d’Ems, en fait un communiqué cinglant et humiliant pour la diplomatie française rédigé par Bismarck lui-même qui veut pousser la France à la guerre. La manœuvre fonctionne à plein, donnant lieu à une flambée nationaliste et germanophobe à Paris. Au sein du Gouvernement, les avis sont partagés. L’Empereur aurait voulu éviter l’entrée en guerre, Ollivier n’y est absolument pas favorable mais Daru va dans le sens de l’opinion publique.
Finalement, le 14 juillet 1870, Napoléon III déclare officiellement la guerre à la Prusse et décrète la mobilisation. Le 15, Le Bœuf alors chef du Cabinet de Guerre déclare devant les Ministres et les Députés réunis à l’Assemblée : « Nous sommes prêts et archiprêts. La guerre dût-elle durer deux ans qu’il ne manquerait pas un seul bouton de guêtre à nos soldats. » Le Bœuf est ce jour-là, bien en-deçà de la réalité.
– La conduite de la guerre par le Maréchal Bazaine et l’Empereur glisse ensuite vers le désastre face à une armée prussienne mieux commandée, disposant d’une meilleure logistique et d’une bien meilleure artillerie. En dépit de la bonne conduite au feu d’unités françaises comme l’Infanterie de Marine à Bazeilles où la cavalerie à Reichshoffen, le gros de l’Armée Impériale se fait piéger par von Moltke à Sedan et dans Metz (Bazaine). Le 2 septembre 1870, Napoléon III capitule devant Bismarck à Sedan avec tous les généraux, officiers et hommes du rang qu’il a sous ses ordres.
3 – La chute et l’exil
Le 4 septembre, la foule parisienne envahit le Palais Bourbon et un Gouvernement provisoire avec Gambetta et Jules Simon comme, proclame la IIIe République. L’Impératrice s’enfuit en Angleterre. Les provinces ne bougent en majorité qu’assez peu, exception faite de la Corse, de la Charente, du Puy-de-Dôme où des partisans de l’Empereur tentent de tenir les villes. Napoléon III espère revenir au pouvoir malgré son discrédit mais Gambetta le prend de vitesse en faisant voter la dissolution des Conseils Généraux, certains étant encore aux mains de partisans de l’Empereur. Enfin, le 1er mars 1871, le Gouvernement alors réuni à Bordeaux vote la déchéance de la Famille Impériale.
Le 19 mars, Bismarck fait libérer Napoléon III qui est forcé de rejoindre son épouse et son fils en Grande-Bretagne. La famille impériale s’installe à Chislehurst. Les relations amicales nouées avec Victoria compteront beaucoup. La Reine d’Angleterre leur rendra régulièrement visite. Gravement atteint de la maladie de la pierre, Napoléon III passe le restant de sa vie à écrire et à recevoir des dignitaires britanniques.
Il s’éteint le 9 janvier 1873 suite à une opération de la vessie qui s’avère fatale. Lors de ses obsèques, 60 000 français traverseront la Manche pour lui rendre hommage. Il repose toujours à St Michael’s Abbey, devenu Monastère bénédictin conformément à la volonté d’Eugénie.
Un homme politique anglais, Lord Thomas Newton a laissé cette impression pertinente de l’Empereur déchu : « Si la carrière de Napoléon III s’était achevée en 1862, il aurait probablement laissé un grand nom dans l’Histoire et le souvenir de brillants succès ».
Sources :
– LAHLOU Raphaël : Napoléon III ou l’obstination couronnée, Pierre Giovanangeli éditeur
– MILZA Pierre : Napoléon III, Perrin, Paris
– GIRARD Louis : Napoléon III, Fayard, Paris
– TULARD Jean (Dir.) : Dictionnaire du Second Empire, PUF, Paris