Olivier V de Clisson, Connétable de Charles VI
Personnalité quelque peu occultée par Bertrand du Guesclin, surnommé « Le boucher de Benon », Olivier V de Clisson reste l’un des plus grands capitaines de la Guerre de Cent Ans mais possède la particularité d’avoir servi dans les deux camps.
– Fils d’Olivier IV de Clisson et de Jehanne de Belleville, Olivier V voit le jour le 23 avril 1336 dans la forteresse même de Clisson actuellement dans le département de Loire-Atlantique. Son père est alors un seigneur féodal breton, devenu partisan de la Royauté française.
– Seulement, à l’âge de sept ans, Olivier V voit son père condamné à mort par le Roi de France Philippe VI de Valois sur des soupçons de s’être entendu avec les Anglais pour être libéré après le siège de Vannes en 1342 (le montant de la rançon d’Olivier IV n’était pas très élevé). Olivier IV est donc décapité en 1343. Jehanne de Belleville fait alors jurer à son jeune fils de venger la mort de son père. Armant des vaisseaux, elle mène alors une impitoyable guerre de piraterie contre les navires de Philippe VI. Bien entendu, ses deux fils l’accompagnent à bord. Dès lors, Olivier V de Clisson nourrit une haine particulièrement farouche vis-à-vis de la couronne de France. Mais ceci-dit, il n’éprouve pass une grande sympathie pour l’Angleterre non plus.
– En 1356, il s’embarque pour l’Angleterre afin de recevoir instruction des armes. Ayant pris le parti de Jehan IV de Montfort dans la Guerre de Succession de Bretagne contre Charles de Blois, cousin du Roi de France, Olivier de Clisson débarque dans le Duché en 1359. Sa mère Jehanne de Belleville meurt la même année et Olivier se retrouve à la tête de possessions bretonnes héritées de ses parents, notamment les Seigneuries de Porhoët et de Châteauceaux, ainsi que la Baronnie de Pontchâteau. En 1360, son père est réhabilité à l’issue du Traité de Brétigny signé entre Jehan II le Bon et Edouard III d’Angleterre. L’année suivante, Clisson épouse Catherine de Laval-Châteaubriant apparentée à la famille ducale de Bretagne, ce qui lui permet de renforcer sa place auprès de Jehan IV de Montfort et de devenir un grand seigneur féodal. Ses possessions se répartissent dans tout le duché de Bretagne, dans les Marches et en Mayenne.
– Mais la Guerre de Succession de Bretagne continue, France et Angleterre jouant de leurs partisans dans l’Ouest. En 1363, Clisson et Montfort assiègent Nantes sans succès, puis Bécherel. L’année suivante, Jehan IV, secondé par Clisson et l’Anglais Jehan Chandos, décide d’assiéger la garnison d’Auray tenue par des hommes de Charles de Blois. Charles V expédie alors une troupe de secours commandée par un autre breton, Bertrand du Guesclin. Grâce à une habile manœuvre forçant les Franco-bretons à gravir une pente menant à Auray et grâce aussi aux trahisons dans le camp de Charles de Blois, Jehan de Montfort, Clisson et Chandos remportent la bataille. Olivier V est alors éborgné d’un coup de hache dans l’affrontement et Bertrand du Guesclin est fait prisonnier. Toutefois, le chemin des deux hommes va encore se croiser.
Lors de la signature du Traité de Guérande qui reconnaît Jehan de Montfort seul Duc de Bretagne, Olivier V de Clisson se repose à Blain. Espérant recevoir les honneurs et les récompenses qu’il estime lui revenir légitimement pour ses loyaux services, il a la mauvaise surprise d’apprendre que son Suzerain offre le château du Gâvre à Jehan Chandos. Pris d’une colère noire, il exprime son mécontentent au Duc en ces termes : « J’aimerais mieux me donner au diable que de voir l’Anglais mon voisin ! » Mécontentement exprimé une fois de plus quand il incendie le château du Gâvre et fait transporter les pierres dans son domaine. En punition, Jehan IV lui confisque la Seigneurie de Châteauceaux.
– C’est alors que se produit un tournant dans la carrière militaire d’Olivier de Clisson. Envoyé en ambassade à Paris auprès du Roi Charles V le Sage en 1366, Clisson est accueilli en grande pompe et avec déférence par le Souverain français. Avec finesse et ruse, Charles V flatte Olivier de Clisson en jouant sur sa profonde défiance vis-à-vis des anglais et sur le mécontentement qu’il éprouve envers Duc de Bretagne.
En 1367, Clisson combat victorieusement aux côtés d’Edouard de Woodstock le Prince Noir à Najéra en soutien de Pierre le Cruel (Aragon) contre Henri de Trastamare (Roi de Castille soutenu par Charles V et secondé par du Guesclin qui est une nouvelle fois fait prisonnier). Mais en 1369, Clisson prend définitivement parti pour Charles V. Avec Amaury de Craon, il essaie de s’emparer de Saint-Sauveur-le-Vicomte en Normandie mais échoue. En 1370, Charles V échange la Seigneurie de Josselin contre des terres normandes qui reviennent au Comte d’Alençon, l’un de ses cousins. La même année, il va plus loin en signant une charte reconnaissant la Suzeraineté de la Couronne des Valois sur le Duché de Bretagne. La rupture entre Jehan IV entouré d’anglais et son ancien vassal est alors consommée. Le 23 octobre 1370, Olivier V de Clisson et Bertrand du Guesclin signent le Serment de Pontorson qui prévoit le partage en deux parts égales des bénéfices de la reconquête. Charles V est entièrement gagnant puisqu’il vient de s’adjoindre les services d’un autre grand capitaine, en plus des Louis de Sancerre, Mouton de Blainville et Jehan de Vienne. En outre, si du Guesclin est le tacticien habituel des manœuvres sur le terrain et des sièges, Clisson est le « stratège » terrestre, pendant que Vienne conduit la guerre maritime. Par exemple, lorsque l’Anglais Robert Knolles lance un raid contre Paris, Clisson conseille à Charles V de jouer le temps en enfermant ses forces dans Paris ou dans les villes du Domaine Royal. Résultat, ne pouvant s’appuyer durablement sur les ressources du domaine royal, Knolles est forcé de rebrousser chemin.
– Le 2 décembre 1370, du Guesclin, Clisson et Vienne infligent une lourde défaite aux Anglais à la bataille de Pontvallain dans le Maine. Ensuite, Clisson et du Guesclin mènent la victorieuse campagne du Poitou, à laquelle participe Jehan de Berry frère du Roi. Cette campagne est marquée par les victoires de La Réole, Saintes, Saint-Jean-d’Angély et la Rochelle (victoire sur mer due aux Castillans). Mais Clisson se fait remarquer moins glorieusement en mettant à mort plusieurs prisonniers anglais et poitevins après le siège réussi de Benon. Il voulait se venger de la mise à mort atroce de son écuyer. Il n’hésite pas non plus à en mutiler d’autres. A la suite de cet épisode, du Guesclin s’écrie : « Par Saint Benoît, les Anglais ont raison quand ils l’appellent le Boucher ! »
– Après la campagne du Poitou, Charles V ordonne à ses deux capitaines de mener une expédition contre Jehan IV de Bretagne, d’autant plus qu’une partie des nobles bretons éprouvent un profond ressentiment vis-à-vis du Duc qui se montre toujours aussi favorable aux Anglais. Clisson forme alors un parti avec la famille de Penthièvre, ce qui ajoute à la tension. C’est alors que Jehan IV signe une alliance avec l’Angleterre, ce qui donne prétexte à Charles V d’intervenir en Bretagne. C’est du Guesclin qui mène la campagne. Clisson est aussi de la partie et bientôt, Jehan IV est contraint à s’exiler chez les Anglais et Clisson obtient la Seigneurie de Guillac. Charles V nomme alors son frère Louis d’Anjou « Lieutenant du Roi en Bretagne » mais celui-ci n’y met pas les pieds et c’est Clisson qui assure la présence militaire au nom du Roi de France. En 1372, il est fait « Co-régent de Bretagne » pour le pays Gallo (Rennes, Dol, Saint-Brieuc, Vannes, Redon et Nantes), tandis que Jehan Ier de Rohan porte le même titre pour la partie bretonnante (Quimper, Brest, Saint-Pol-de-Léon, Morlaix…).
Seulement la guerre contre Jehan IV reprend en 1373 et le Duc réussit à reprendre plusieurs places de l’Ouest dont Quimperlé. Mais les combats cessent par un accord entre Charles V et Jehan IV. Le Duc conserve tout l’Ouest bretonnant tandis que Clisson est en charge de la moitié est. En 1378, Olivier de Clisson se remarie en secondes noces (Catherine de Laval étant décédée quelques années plus tôt) avec Marguerite de Rohan, sœur de Jehan Ier de Rohan, dont la dot vient ajouter à sa très grande forte et lui apporte notamment la Seigneurie de Josselin. Olivier V en profite alors pour y aménager la place forte et y faire bâtir un château.
– En 1378, Charles V souhaite annexer la Bretagne au Royaume de France mais il provoque la colère des seigneurs Bretons qui réclament alors le retour de Jehan IV de Bretagne. Guy XII de Laval refuse d’obéir et du Guesclin se montre lui aussi en désaccord avec son Roi, même s’il l’assure de sa fidélité avant tout. Olivier de Clisson aurait aimé alors prendre le titre de duc mais la famille de Rohan se rallie à Jehan IV et il doit renoncer à son projet, tout comme Charles V.
– En juillet 1380, le Connétable Bertrand du Guesclin succombe à la fièvre lors du siège de Châteauneuf-de-Randon et Charles V gravement malade et veuf de Jehanne de Bourbon, le suit dans la tombe en septembre suivant. Olivier V de Clisson reste au service de la Couronne des Valois, d’autant plus que dans son testament, Charles V l’avait recommandé pour participer au Conseil. En dépit de la désapprobation des frères de Charles V (et oncles de Charles VI), Jehan de Berry et Philippe le Hardi Duc de Bourgogne, Clisson est fait Connétable de France par le Roi le 28 novembre 1380. Il obtient là une bonne position politique car il peut dialoguer d’égal à égal avec les grands du Royaume et notamment, son adversaire le Duc de Bretagne. En outre, il conserve tout son butin amassé pendant la campagne du Poitou contre les Anglais.
En 1382, Clisson guide l’Ost royal pour réprimer la révolte flamande menée par Philippe van Aldewerde contre le Comte Louis de Male (vassal du Roi de France et beau-père de Philippe le Hardi) et ce, alors que les Maillotins tiennent Paris. Le 27 novembre 1382, avec le Roi et le concours de Louis de Sancerre et Jehan IV de Mauquenchy Mouton de Blainville, le Connétable de Clisson réduit en charpie l’armée des insurgées flamands à la bataille de Roosebeke (ou du Mont d’Or). En février 1383, Clisson accompagne encore le Roi Charles VI dans la répression de la révolte des Maillotins. Après avoir procédé à des exécutions dans Paris, Clisson reçoit les Bourgeois de Paris dans son Hôtel avec le Sire Charles d’Albret et les force à signer une déclaration dans laquelle ils obtiennent la miséricorde royale contre le versement d’une forte somme. On a d’ailleurs surnommé ensuite la demeure de Clisson l‘Hôtel de la Miséricorde.
– En 1384, Clisson et Jehan de Vienne ont le projet de débarquer en Angleterre mais le projet échoue par manque de volonté politique. En 1387, il est convié en Bretagne mais c’est un piège et il se retrouve retenu par Jehan IV de Bretagne qui l’oblige à verser une forte somme. Mais suite à des négociations entre le Duc et le Roi, Clisson peut conserver ses domaines en Bretagne. Mais c’est épisode montre bien que la tension entre la France et la Bretagne n’est toujours pas retombée.
Mais en 1388, lorsque Charles VI écarte de force ses oncles du Conseil Royal, Clisson devient l’un des hommes forts du Gouvernement des Marmousets, auquel participent d’anciens conseillers et officiers de Charles V tels Jehan Le Mercier, Bureau de la Rivière. Pendant plus de trois ans, ce Gouvernement administre la France de façon plutôt efficace.
– Mais en 1392, le Connétable de Clisson est agressé la nuit à Paris, à la sortie de l’Hôtel Saint-Pol par un groupe commandé par Pierre de Craon, un fidèle de Jehan IV de Bretagne (et parent de Gilles de Rais). Clisson échappe à la mort en se cachant dans le fournil d’un boulanger, tout près de l’actuel Lycée Charlemagne. Convaincu que c’est Jehan IV qui veut le faire assassiner, Clisson demande au Roi une expédition punitive contre le Duc. Charles VI accepte et rassemble son Ost. On se met en route vers la Bretagne au mois d’août mais après la traversée de la Forêt du Mans, Charles VI est pris d’un accès de folie et l’expédition doit rebrousser chemin.
– La folie du Roi s’aggrave en 1393 suite à la tragédie du Bal des Ardents. Immédiatement après, Charles VI publie une ordonnance dans laquelle il déclare ne plus être en moyens de gouverner et délègue la conduite des affaires du Royaume à ses oncles Philippe de Bourgogne et Jean de Berry, (solidaires pour l’occasion) et à son frère, le tapageur et flamboyant Louis d’Orléans. La nouvelle situation fait alors remarquer à un Clisson particulièrement amer : « Maintenant, il y a trois Rois en France ». Les Oncles du Roi évincent alors les « Marmousets » et prennent en charge les affaires du Royaume selon leurs propres intérêts politiques et économiques. D’autant plus que le gouvernement de la France devient l’objet d’une lutte de clans et de personnalités et des tensions apparaissant très vite entre Philippe le Hardi et Louis d’Orléans.
– Olivier de Clisson repart donc en Bretagne mais le duché passe alors sous la régence de… Philippe le Hardi. D’autre part, l’ancien Connétable entre en conflit ouvert avec sa fille Marguerite de Clisson qui a rallié le parti de Jehan IV de Bretagne. En 1401, il répond à l’appel de Louis d’Orléans qui doit faire face aux menées de son cousin Jehan Sans Peur Duc de Bourgogne (fils de Philippe le Hardi) qui veut s’emparer de Paris ; le Royaume étend à ce moment même au bord d’une guerre entre partis.
Pendant les six années qui précèdent sa mort, Olivier de Clisson se consacre à ses domaines de Bretagne mais ne joue plus réellement de rôle politique. Plus grave pour lui, le nouveau duc Jehan V – qui lui voue une sérieuse aversion – lui confisque plusieurs terres.
– Immensément riche, Olivier V administrait savamment ses biens et ses domaines, percevant des revenus grâce au bois, à l’affermage, au marché du sel (Bourgneuf et Noirmoutier), au commerce du vin, aux taxes perçues sur ses terres, ainsi qu’au prêt à intérêt aux Papes d’Avignon. Il faut ajouter à cela ses appointements de Connétable de France qui lui permettent de touchez douze fois plus que le Chancelier du Duc de Bretagne et en comparaison, trente années du salaire du maçon en un mois seulement ! Sous le règne de Charles VI, Olivier V de Clisson est l’un des hommes les plus riches de France. S’il mène une vie luxueuse, il ne dépense pas non plus d’immenses sommes de manière irraisonnée. Il donne néanmoins de fortes sommes à la construction et l’entretien d’église et se fait bâtir un Hôtel à Paris, l’Hôtel de Clisson, qui deviendra l’Hôtel de Guise, dont on peut voir l’ancienne façade rue des Archives dans le IVe Arrondissement de Paris. Il faut bien préciser qu’il est de mode pour les grands seigneurs résidant à Pairs de se voir construire des Hôtels particuliers, en écho de l’Hôtel Saint-Pol résidence royale depuis Charles V.
– Il avait aussi fondé la Collégiale Notre-Dame-du-Roncier à Josselin ainsi que le Collège Notre-Dame-de-Clisson. Enfin, sans doute sous l’influence de sa seconde épouse Marguerite de Rohan, il finance des œuvres religieuses en faveur des pauvres, pour se racheter de la brutalité dont il a pu faire preuve.
Le vieux Connétable de Clisson s’éteint le jour même de son soixante-et-onzième anniversaire, le 23 avril 1407 à Josselin, alors que le Royaume de France qu’il a servi s’apprête à glisser dans l’impitoyable guerre entre Armagnacs et Bourguignons.
Lire :
– FAVIER Jean : La Guerre de Cent Ans, Fayard
– MINOIS Georges : La Guerre de Cent Ans, Perrin, coll. Tempus
– AUTRAND Françoise : Charles VI, Fayard