Prêtres et aumôniers pendant la Grande Guerre ( abbé E. Iborra)
A bien des égards la Première Guerre mondiale
a été une guerre civile à l’échelle européenne, et donc une guerre entre chrétiens. C’était le même rosaire qu’égrenaient ici des Bretons dans leur tranchée et là des Bavarois dans celle d’en face ; les mêmes chorals protestants qui s’élevaient des positions britanniques et de celles des Prussiens qui leur faisaient face ; les mêmes icônes qui étaient vénérées ici par les Galiciens sous uniforme austro-hongrois et là par les Ukrainiens sous uniforme russe.
Les membres du clergé se sont vus mobilisés au sens large comme citoyens de nations en guerre les unes contre les autres en même temps que comme représentants d’une république qui les transcende toutes : le royaume de Dieu qui, pour les catholiques au moins, a une visibilité ici-bas dans la communion de l’Église. La perspective d’une telle déchirure de la chrétienté assombrit la fin de S. Pie X, mort le 20 août 1914, et expliqua les appels à la paix de Benoît XV qui s’efforça par ailleurs, en vain, de maintenir l’Italie hors du conflit.
La situation du clergé pendant la guerre dépendra de la place juridiquement faite à la religion. Elle comporte deux niveaux : celui de l’aumônerie militaire et celui de la participation des membres du clergé au conflit.
Dans la plupart des pays européens, là où la religion a un statut juridique, les clercs sont dispensés de la conscription. Ceux qui se portent volontaires sont affectés au service de santé. Dans d’autres pays, comme la France, soumis à un régime laïc, la loi supprime les aumôniers (1881) et oblige les clercs au service militaire (1889). Elle rétablira l’aumônerie en 1910, la guerre se faisant plus menaçante. C’est que même anticléricale, la République sait que le besoin religieux est aiguisé avec la perspective de la mort et satisfaire à ce besoin, c’est soutenir le moral des troupes. Même souci d’ailleurs dans les Etats concordataires où les aumôniers doivent exhorter les soldats à faire leur devoir patriotique aussi pour des raisons religieuses : « Mit Gott für König und Vaterland ! » La situation est cependant différente selon les belligérants. Dans les Etats concordataires les aumôniers sont présents en général au niveau du régiment, voire du bataillon. En France, il n’y en a que quatre par corps d’armée. Leur nombre augmentera pendant le conflit.
C’est aussi que les vocations ne manqueront pas. La France mobilisera 30 000 clercs : 19 000 prêtres, 7 000 novices et 4 000 séminaristes. Si les aumôniers sont attachés aux unités de santé (brancardiers au front), les autres portent les armes. Certains seront officiers, comme H. Grialou (20 ans), futur carme et fondateur de Notre-Dame de Vie, d’autres deviendront des aumôniers célèbres comme le P. jésuite P. Doncœur (34 ans) ou le P. spiritain D. Brottier (38 ans). Une participation aussi massive des religieux au conflit est un fait remarquable : la plupart avaient été exilés avec la suppression des congrégations et n’étaient donc pas mobilisables. Ils revinrent quand même pour se battre aux côtés de leurs compatriotes.
En France, la République avait voulu séparer le clergé du peuple. Avec la conscription généralisée et la réapparition de l’aumônerie militaire, nécessité faisant loi, les prêtres vont se retrouver au coude à coude avec les poilus, partager leurs angoisses, leurs souffrances, leur misère. Et ils vont donner un exemple de résilience et de courage. Camaraderie, mais celle du grand frère, responsable, dans les moments de détente ; dévouement sous le feu (un aumônier sur six tombera au cours du conflit) ; service des blessés et des mourants, en brancardant, en donnant les derniers sacrements. De nombreux Français redécouvrent la messe, dans les tranchées ou dans les bois.
Des générations de jeunes déchristianisés voient vivre le prêtre sous leurs yeux. Il en résultera sinon plus de foi au moins plus de respect pour la fonction. Et cela est vrai de tous les pays. Citons le jésuite R. Mayer, qui perd une jambe sur le front de Roumanie. Devenu l’un des premiers opposants au NSDAP, Hitler le respectera comme Frontkämpfer et lui épargnera les camps : ils sera assigné à résidence dans une abbaye bénédictine. En France, lorsque le Cartel des Gauches voudra réactiver les lois d’exil, le P. Doncœur, fort de sa légitimité, appuyé par la DRAC et la FNC, écrira au Président du Conseil (oct. 1924) une lettre ouverte : « Nous ne partirons pas. Pas un homme, pas un vieillard, pas un novice, pas une femme ne repassera la frontière, cela jamais (…). Et je vais vous dire maintenant pourquoi nous ne partirons pas. Ce n’est pas de courir au diable qui nous effraie. Nous ne tenons à rien, ni à un toit, ni à un champ. Jésus-Christ nous attend partout et nous suffira toujours au bout du monde. Mais nous ne partirons plus parce que nous ne voulons plus qu’un Belge, ou qu’un Anglais, ou qu’un Américain, ou qu’un Chinois, ou qu’un Allemand, nous rencontrant un jour loin du pays, nous pose certaines questions auxquelles nous répondrions, comme jadis, en baissant la tête : « La France nous a chassés ». Pour l’honneur de la France – entendez-vous ce mot comme je l’entends ? – pour l’honneur de la France, jamais nous ne dirons plus cela à un étranger. Donc nous resterons tous. Nous le jurons sur la tombe de nos morts ! ».
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